Ma renarde, pose ta tête sur mes genoux.
Je ne suis pas heureux et pourtant tu suffis.
Bougeoir ou météore, il n’est plus de coeur gros
ni d’avenir sur terre.
Les marches du crépuscule révèlent ton murmure, gîte de menthe et de romarin, confidence échangée entre les rousseurs de l’automne et ta robe légère.
Tu es l’âme de la montagne aux flancs profonds,
aux roches tues derrière des lèvres d’argile.
Que les ailes de ton nez frémissent.
Que ta main ferme le sentier et rapproche le rideau des arbres.
Ma renarde, en présence des deux astres, le gel et le vent, je place en toi toutes les espérances éboulées, pour un chardon victorieux de la rapace solitude.
(René Char)
Recueil: Feuillets d’Hypnos
Traduction:
Editions: Gallimard
Il y a bien longtemps (en Première L) une jeune Professeur de Littérature m'a fait découvrir ce poème que j'adore d'un poète admirable pour sa plume et son engagement.
Citation de Agnodice #434982
Oui, J'aime beaucoup la musique des poèmes de René Char aussi !
"if" de Rudyard Kipling traduit en "tu seras un homme mon fils"
Je le trouve touchant et l'histoire derriere aussi
Mais ces derniers jours, j'ecoute beaucoup "if tomorrow starts without me" de David Romano. Je trouve interessant d'avoir le cheminement et la perspective du décédé, réconfortant celui qui reste; comme les etapes du deuil mais vues à travers les yeux de celui qui part.
J apprécie sylvia plat :
"Mais je voudrais être horizontale.
Je ne suis pas un arbre dont les racines en terre
Absorbent les minéraux et l’amour maternel
Pour qu’à chaque mars je brille de toutes mes feuilles,
Je ne suis pas non plus la beauté d’un massif
Suscitant des Oh et des Ah et grimée de couleurs vives,
Ignorant que bientôt je perdrai mes pétales.
Comparés à moi, un arbre est immortel
Et une fleur assez petite, mais plus saisissante,
Et il me manque la longévité de l’un, l’audace de l’autre.
Ce soir, dans la lumière infinitésimale des étoiles,
Les arbres et les fleurs ont répandu leur fraîche odeur.
Je marche parmi eux, mais aucun d’eux n’y prête attention.
Parfois je pense que lorsque je suis endormie
Je dois leur ressembler à la perfection —
Pensées devenues vagues..
Ce sera plus naturel pour moi, de reposer.
Alors le ciel et moi converseront à coeur ouvert,
Et je serai utile quand je reposerai définitivement:
Alors peut-être les arbres pourront-ils me toucher, et les fleurs m’accorder du temps."
Ce n'est pas un poème à proprement parler; mais je considère ce passage comme tel :
"On ne vit pas dans un espace neutre et blanc ;
on ne vit pas, on ne meurt pas, on n’aime pas dans le rectangle d’une feuille de papier.
On vit, on meurt, on aime dans un espace quadrillé, découpé, bariolé, avec des zones claires et sombres, des différences de niveaux, des marches d’escalier, des creux, des bosses, des régions dures et d’autres friables, pénétrables, poreuses".
Michel Foucault
Un poème de Michèle Lalonde qui date d'une époque où l'indépendantisme québecois avait une dimension sociale et internationaliste :
Speak white
il est si beau de vous entendre
parler de Paradise Lost
ou du profil gracieux et anonyme qui tremble dans les sonnets de Shakespeare
+++
nous sommes un peuple inculte et bègue
mais ne sommes pas sourds au génie d’une langue
parlez avec l’accent de Milton et Byron et Shelley et Keats
speak white
et pardonnez-nous de n’avoir pour réponse
que les chants rauques de nos ancêtres
et le chagrin de Nelligan
+++
speak white
parlez de choses et d’autres
parlez-nous de la Grande Charte
ou du monument à Lincoln
du charme gris de la Tamise
de l’eau rose du Potomac
parlez-nous de vos traditions
nous sommes un peuple peu brillant
mais fort capable d’apprécier
toute l’importance des crumpets
ou du Boston Tea Party
mais quand vous really speak white
quand vous get down to brass tacks
pour parler du gracious living
et parler du standard de vie
et de la Grande Société
un peu plus fort alors speak white
haussez vos voix de contremaîtres
nous sommes un peu durs d’oreille
nous vivons trop près des machines
et n’entendons que notre souffle au-dessus des outils
+++
speak white and loud
qu’on vous entende
de Saint-Henri
à Saint-Domingue
oui quelle admirable langue
pour embaucher
donner des ordres
fixer l’heure de la mort à l’ouvrage
et de la pause qui rafraîchit
et ravigote le dollar
speak white
tell us that God is a great big shot
and that we’re paid to trust him
speak white
parlez-nous production profits et pourcentages
speak white
c’est une langue riche
pour acheter
mais pour se vendre
mais pour se vendre à perte d’âme
mais pour se vendre
+++
ah !
speak white
big deal
mais pour vous dire
l’éternité d’un jour de grève
pour raconter
une vie de peuple-concierge
mais pour rentrer chez nous le soir
à l’heure où le soleil s’en vient crever au-dessus des ruelles
mais pour vous dire oui que le soleil se couche oui
chaque jour de nos vies à l’est de vos empires
rien ne vaut une langue à jurons
notre parlure pas très propre
tachée de cambouis et d’huile
+++
speak white?
soyez à l’aise dans vos mots
nous sommes un peuple rancunier
mais ne reprochons à personne
d’avoir le monopole
de la correction de langage
+++
dans la langue douce de Shakespeare
avec l’accent de Longfellow
parlez un français pur et atrocement blanc
comme au Viêt-Nam au Congo
parlez un allemand impeccable
une étoile jaune entre les dents
parlez russe parlez rappel à l’ordre parlez répression
speak white
c’est une langue universelle
nous sommes nés pour la comprendre
avec ses mots lacrymogènes
avec ses mots matraques
+++
speak white
tell us again about Freedom and Democracy
nous savons que liberté est un mot noir
comme la misère est nègre
et comme le sang se mêle à la poussière des rues d’Alger ou de Little Rock
+++
speak white
de Westminster à Washington
relayez-vous
speak white comme à Wall Street
white comme à Watts
be civilized
et comprenez notre parler de circonstance
quand vous nous demandez poliment
how do you do
et nous entendez vous répondre
we’re doing all right
we’re doing fine
we
are not alone
+++
nous savons
que nous ne sommes pas seuls.
Parle terre et bénis-moi d'abondance
fais couler le ciel melliflue depuis mes hanches
dressées comme des montagnes
sur une vallée ouverte
creusée par la bouche de la pluie.
Et j'ai su quand je l'ai pénétrée que j'étais
grand vent au creux de ses forêts
les doigts bruissant des murmures
le miel a coulé
de la coupe fendue
empalée sur une lance de langues
sur le bout de ses seins sur son nombril
et mon souffle
hurlant dans ses entrées
depuis des poumons de douleur.
Goulue comme un goéland
ou une enfant
je me balance fort sur la terre
encore et plus fort
encore.
(Audre Lorde, Love poem, 1973)
Mémoire
La mémoire n'est pas seulement
dans la tête. Il est minuit,
tu as existé jadis, tu existes
encore, toute ma peau
aussi sensible qu'un oeil,
empreinte de toi
rayonnant contre moi,
allumette brûlée dans une pièce sombre.
(Margaret Atwwod, Laisse-moi te dire)
Mon eau n’écoute pas
mon eau chante comme un secret
Mon eau ne chante pas
mon eau exulte comme un secret
Mon eau travaille
et à travers tout roseau exulte
jusqu’au lait du rire
Mon eau est un petit enfant
mon eau est un sourd
mon eau est un géant qui te tient sur la poitrine un lion
ô vin
vaste immense
par le basilic de ton regard complice et somptueux
(Aimé Césaire)
Des nuages s'étirent, s'étirent irréels,
Entre les branches noires enlacés.
Tout l'hiver devant ma fenêtre, qui s'en va
Et la danse de lumière sur les crêtes lointaines.
Cet oiseau jamais aperçu !
Et le printemps et mon amour.
Mes yeux qui s'éclairent, mes lèvres qui éclosent,
Mon corps
Il fait très doux et très clair.
Le monde est calme autour, en tendresse.
Oh ! un moment, rien qu'un moment de calme pour
toute souffrance.
Car Dossie pleure les cris matinaux de ses enfants.
Du monde je ne vois qu'un rectangle bleu
Strié de noir luisant.
Les branches tendent leurs bourgeons au soleil,
Lèvres ouvertes, lèvres offertes.
Je n'entends que le chant de l'ami inconnu,
Le pas monotone d'un pion
Et mon amour qui pousse dans le silence
Du printemps.
Léopold Sedar Senghor
moi, je remue la marmelade de prunes sur le poêle
avec la longue cuillère en bois de ma grand-mère,
je regarde le jardin, toujours le même à la fin de septembre,
je regarde la vie, toujours plus grande que nous
et je comprends qu'elle n'a pas de synonyme.
(extrait de Ciel à perdre d'Aksinia Mihaylova)
Un texte qui ne relève pas du poème mais plutôt de la prose poétique. Il m'avait été proposé au collège sous forme de dictée et le sentiment de paix qui s'en dégage m'avait durablement impressionnée. Je constate que cet effet est resté intact.
"J'appartiens à un pays que j'ai quitté. Tu ne peux empêcher qu'à cette heure s'y épanouisse au soleil toute une chevelure embaumée de forêts. Rien ne peut empêcher qu'à cette heure l'herbe profonde y noie le pied des arbres d'un vert délicieux dont mon âme a soif... Viens, toi qui l'ignores, viens que je te dise tout bas : le parfum des bois de mon pays égale la fraise et la rose ! Tu jurerais, quand les taillis de ronces y sont en fleurs, qu'un fruit mûrit on ne sait où, - là-bas, ici, tout près, - un fruit insaisissable qu'on aspire en ouvrant les narines. Tu jurerais, quand l'automne pénètre et meurtrit les feuillages tombés, qu'une pomme tombée vient de choir, et tu la cherches et tu la flaires, ici, là-bas, tout près...
Et si tu passais en juin, entre les prairies fauchées, à l'heure où la lune ruisselle sur les meules rondes qui sont les dunes de mon pays, tu sentirais à leur parfum s'ouvrir ton cœur. Tu fermerais les yeux, avec cette fierté grave dont tu voiles ta volupté, et tu laisserais tomber ta tête, avec un muet soupir...
Et si tu arrivais, un jour d'été dans mon pays, au fond d'un jardin que je connais, un jardin noir de verdure et sans fleurs, si tu regardais bleuir, au lointain, une montagne ronde où les cailloux, les papillons et les chardons se teignent du même azur mauve et poussiéreux, tu m'oublierais, et tu t'assoirais là pour n'en plus bouger jusqu'au terme de ta vie.
Il y a encore, dans mon pays, une vallée étroite comme un berceau où, le soir, s'étire et flotte un fil de brouillard, un brouillard ténu, blanc, vivant, un gracieux spectre de brume couché sur l'air humide... Animé d'un lent mouvement d'onde, il se fond en lui-même et se fait tour à tour nuage, femme endormie, serpent langoureux, cheval à cou de chimère... Si tu restes trop tard penché vers lui sur l'étroite vallée, à boire l'air glacé qui porte ce brouillard vivant comme une âme, un frisson te saisira, et toute la nuit tes songes seront fous...
Ecoute encore, donne tes mains dans les miennes : si tu suivais, dans mon pays, un petit chemin que je connais, jaune et bordé de digitales d'un rose brûlant, tu croirais gravir le sentier enchanté qui mène hors de la vie... Le chant bondissant des frelons fourrés de velours t'y entraîne et bat à tes oreilles comme le sang même de ton cœur, jusqu'à la forêt, là-haut, où finit le monde... C'est une forêt ancienne, oubliée des hommes, et toute pareille au paradis, écoute bien car..."
(Colette, Les vrilles de la vigne, « Jour gris », 1908.)
Ce n'est pas le poème du moment, sinon celui que je préfère pour sa force. Et il y a plus fort que la douleur?
C'est Elegía a Ramón Sijé, de Miguel Hernández de la génération du 27.
"Je veux être, en pleurant, le jardinier
de la terre que tu occupes et stérilises,
compagnon de l'âme, si tôt.
.
Nourrissant les pluies, les escargots
Et orgues ma douleur sans instrument,
aux coquelicots découragés
.
Je donnerai ton cœur en nourriture.
Tant de douleur s'accumule dans mon flanc,
...qu'il me fait mal de respirer.
.
Une gifle dure, un coup glacé,
une hache invisible et meurtrière,
une poussée brutale vous a mis à terre.
.
Il n'y a pas de plus grande étendue que ma blessure,
Je pleure mon malheur et ses décors
et je ressens ta mort plus que ma vie.
Je marche sur le chaume des morts,
sans chaleur ni réconfort de personne
Je vais de mon cœur à mes affaires.
.
Tôt le matin, la mort a pris son envol,
tôt l'aube s'est levée,
tôt on roule sur le sol.
.
Je ne pardonne pas la mort en amour,
Je ne pardonne pas la vie inattentive,
je ne pardonne pas à la terre ou au néant.
.
Dans mes mains, je soulève une tempête
de pierres, de foudres et de haches qui s'entrechoquent
assoiffée de catastrophes et affamée de désastres.
.
Je veux creuser la terre avec mes dents,
Je veux déchirer la terre
partie par partie avec des dents chaudes et sèches.
.
Je veux creuser la terre jusqu'à ce que je te trouve
et embrasser ton noble crâne
et te désaimer et te ramener
.
Tu reviendras dans mon verger et sur mon figuier :
sur le haut échafaudage de mes fleurs
Ton âme de ruche fera l'oiseau de ton âme de ruche
.
de cires et de labeurs angéliques.
Tu reviendras à la berceuse des grilles
. des fermiers aimants.
.
Tu éclaireras l'ombre de mes sourcils ,
et ton sang ira de chaque côté
disputant ta fiancée et les abeilles.
.
Ton coeur, déjà usé de velours,
appelle dans un champ d'amandes étincelantes
ma voix gourmande d'amant.
.
Aux âmes ailées des roses...
de crème d'amande je t'appelle,.. :
nous avons beaucoup de choses à nous dire,
compagnon de l'âme, compagnon"
Jaune est le jour.
Bleue est la nuit.
Vert s’étend le monde.
Lumière et ténèbre s’épousent
dans l’obscur comme dans la clarté
La couleur révèle le cosmos,
les couleurs distinguent chose après chose.
Quand la pluie et le soleil
lassés des querelles des nuages
unissent encore le sec et l’humide
dans la noce des couleurs alors
brille le sombre autant que le clair –
et depuis le ciel rayonne en arc
notre oeil, notre monde.
Hannah Arendt
Sur une grande route, il n'est pas rare de voir une vague, une vague toute seule, une vague à part de l'océan.
Elle n'a aucune utilité, ne constitue pas un jeu.
C'est un cas de spontanéité magique.
(Henri Michaux)
Compte tenu du peu de temps que nous disposons
pour vivre et penser aux choses, je consacre
un délai à peu prés correct à ce
papillon.
(Il pleut en amour, Richard Brautigan)
Aspire soupire
Meurs un peu
Doucement meurs
Agonise contre la pupille étends la jouissance
Double le mât gonfle les voiles
Navigue et cingle devers Vénus
étoile du matin
-la mer comme un vaste cristal étamé-
endors-toi naufragé.
Gioconda Belli
[...] Joie de vivre, tu es celle que je connais le mieux.
Sans vraiment m’en apercevoir, tu es mon amie depuis mon premier souffle.
Et grâce à toi je rêve et grâce à toi je chante, je danse et j’imagine.
Et grâce à toi je pleure, je bouge et je regarde mieux.
Joie de vivre, tu es l’enfant,
tu es le pur et tu es l’amour
Joie de vivre, tu es le clown
tu es la tendresse et tu es l’élan
La joie de vivre est un notre moteur et notre trésor.
Elle est ce qui nous rend souriant, généreux et bienveillant,
tandis que la peur nous sépare, la colère nous blesse, la tristesse nous isole.
Comme la nuit et le jour, nous sommes l’ombre et la lumière
Une palette de vives couleurs qui en nous demeurent
Ses contrastes et ses saveurs peuvent être étrangers à nos cœurs
A nous de trouver l’équilibre, pieds nus, sur le fil.
Sérénité je te respire,
Tu mêles toutes les couleurs et nous amène au blanc.
Tu es la lumière, la terre et le vent.
Je te cherche, je te trouve, te perds et te retrouve.
Sérénité je t’acclame, je t’apprends, je te partage,
et de gouttes de sueur en gouttes de pluie,
je me sens chaque jour un peu plus sage.
Emeline Verdu
Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon cœur
D’une langueur
Monotone.
Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure
Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.
Paul Verlaine. ( Entendu aujourd'hui 6 juin dans un taxi)
"Aimer ceux qui sont ainsi : quand ils entrent dans une pièce, ce ne sont pas des personnes, des caractères ou des sujets, c’est une variation atmosphérique, un changement de teinte, une molécule imperceptible, une population discrète, un brouillard ou une nuée de gouttes."
Gilles Deleuze
Ne sachant pas lequel choisir de cette auteure, je mets les trois :
I.
Exaltation
de mon identité sereine
tu nargues le ciel
qui m’a donné la vie
tu nargues mes espoirs
et mes refrains passés
tu bouscules mon ventre
orgasme
au lendemain
de ma frayeur
tu es mon désir
sur l’eau vive.
II.
Tu es
le grain de sable
dans la machine
à faire le temps
Tu es
tam-tam puissant
balayant la savane
et nous n’aurons pas besoin
de foudre
pour tisser des soleils.
III.
Montre-lui
les cris des dessous de la terre
les étés accablants
et les pluies destructrices
apprends-lui
à retenir son souffle
à la cadence
des feuilles premières
retiens sa main
jusqu’au bout du chemin
qu’elle vainque elle-même sa peur !
Il faut accoucher
de l’enfance
cracher le venin
qui rompt ta violence
enlacer le présent
et partir sur les quais
la quiétude du fœtus
est la nuit de tout temps.
Dis-lui
les victoires parcourues
et les chemins de midi
dis-lui aussi
la senteur du petit matin
et le cœur à tout rompre
il n’existe pas
de lune sans éveil
pas de chant
sans touraco.
Véronique Tadjo
Si une mouette venait
M’apporter le ciel de Lisbonne
Par le dessin qu’y trace son vol,
Ce ciel où le regard
Est une aile qui cesse de battre,
Défaille et s’abîme en mer,
Alors quel cœur parfait
Battrait dans ma poitrine,
Mon amour dans ta main,
Cette main où se logerait
Si parfaitement mon cœur.
Si un marin portugais,
Revenu des sept mers du monde,
Était, qui sait, le premier
À me conter ses découvertes,
Si un regard d’un nouvel éclat
S’enlaçait à mon regard,
Alors quel cœur parfait
Battrait dans ma poitrine,
Mon amour dans ta main,
Cette main où se logerait
Si parfaitement mon cœur.
Si, tout près de quitter la vie
Tous les oiseaux du ciel
M’apportaient dans cet adieu
Ton ultime regard
Ce regard incomparable
De toi, amour qui fut le premier,
Alors quel cœur parfait
Mourrait dans ma poitrine,
Mon amour dans ta main,
Cette main où battait
Si parfaitement mon cœur.
-
Gaivota (Mouette), chanson/fado interprété.e en portugais par Amelia Rodrigues sur un poème d'Alexandre O'Neill. Musique d'Alain Oulman.
Poème du soir :
(...)
Emportez tout, les haines, les amours.
Nous reviendrons foule sans nombre,
Nous reviendrons par tous les chemins.
Louise Michel
Le moine a quatre-vingt sept ans. Ses pieds n'ont
plus
de graisse pour se défendre des pierres.
Il a oublié son chapeau, plus large depuis quelques
années.
Près du ruisseau il voit une femme rencontrée
cinquante étés
plus tôt, toujours jeune fille pour lui. Une fois
encore ses mains
tremblent lorsqu'elle lui tend une timbale d'eau.
(Jim Harrisson, l'Eclipse de lune de Davenport)
Feu de sarments dans tes yeux feu de ronces sur tes joues feu de silex sur ton front feu d'amandes sur tes lèvres feu d'anguilles dans tes doigts feu de laves sur tes seins feu d'oranges dans ton cœur feu d'œillets à ta ceinture feu de chardons sur ton ventre feu de glaise à tes genoux feu de bave sous tes pieds feu de sel et feu de boue un incendie réel tout droit sur la falaise un faisceau de saveurs où je me reconnais
Mère ma ténébreuse.
(Jean Sénac)
Ils condamnent leur liberté
Avec le sourire de la trahison
Toujours ils vont s’agenouiller
Au temple en ruine de la raison
Que peuvent-ils encore espérer
À se soumettre de cette façon
Les hommes comme prisonniers
De leurs pensées sans horizon.
— Stéphen Moysan
La mort du romantique
Je viens de tomber là-dessus, toujours de Jean Sénac, irrésistible 😁 :
Je t’aime. Tu es forte
comme un comité de gestion
comme une coopérative agricole
comme une brasserie nationalisée…
Devant la porte de l’usine
le travailleur soudain s’arrête
le beau temps l’a tiré par la veste
et comme il se retourne
et regarde le soleil
tout rouge tout rond
souriant dans son ciel de plomb
il cligne de l’œil
familièrement
Dis donc camarade Soleil
tu ne trouves pas
que c’est plutôt con
de donner une journée pareille
à un patron ?
Le temps perdu. Jacques Prévert
Rebelle silencieuse
délicate comme de la dentelle
enrobée de lumière
ton corps doré-bourbier
du reflet de ta rivière
Hausser les ailes turquoises verdoyantes !
Tu veux exploser,
cracheuse du feu d’artifice !
Tu en as marre du tremblement incessant.
Dans ton âme amoureuse,
terminé le silence patient.
Ne voltige plus,
voler loin
caresser les vents du Nord
utiliser les nuages
pleurer tout ce que tu veux
hurler à faire peur.
Il faut prévenir La Terre
de la défaillance finale.
Plus jamais d’impitoyable loi de silence.
Chantonner, bourdonner, rigoler
jusqu’au retour à ta chère rivière.
Ta voix retrouvée
dans une sagesse transparente.
Chloe Douglas
Toi, vis, sois innombrable à force de désirs
De frissons et d'extase,
Penche sur les chemins où l'homme doit servir
Ton âme comme un vase,
Mêlé aux jeux des jours, presse contre ton sein
La vie âpre et farouche ;
Que la joie et l'amour chantent comme un essaim
D'abeilles sur ta bouche.
Et puis regarde fuir, sans regret ni tourment
Les rives infidèles,
Ayant donné ton cœur et ton consentement
À la nuit éternelle.
Anna de Noailles