Une "petite" histoire transgenre MTF & retours de vécu de soeurs trans

avatar contributeur Eleana
Eleana
03/03/2024 à 02:42

Ce poste risque d'être un peu long.

Je l'écris comme on jette une bouteille à la mer.

Je pense être arrivée au bout d'un chemin dont le prochain tronçon me mènera soit au sommet d'une falaise abrupte dont le bord se dérobera sous mes pieds, soit vers un sentier ascendant où l'air environnant sera plus riche en oxygène et susceptible de me permettre de reprendre un second souffle, et, au fil de l'ascension, de découvrir une nature plus colorée et luxuriante que les mornes taillis et brousailles qui ont jalonnés ma route jusqu'alors, à l"exception de quelques clairières que le soleil baignait de ses rayons occasionnellement. J'y écris mon histoire de femme transgenre contrariée et l'histoire d'une dissimulation qui peut pousser à la folie, à la détestation de soi. D'une dissimulation d'avec laquelle je suis encore aux prises et contre laquelle je me bats. Corp et âme. Un témoignage aussi pour celles et ceux qui seraient susceptibles de rentrer dans ce type de schéma mortifère et absurde. Pour les en dissuader. Il s'agit aussi de trouver de rechercher un début de réponse sur les possibilités qui s'ouvrent aujourd'hui à moi et de vaincre encore les voiles d'appréhension et d'inconnu qui se matérialisent sur mon parcours.

Né garçon, je me sais femme depuis mon plus jeune âge, je n'ai toujours révé que de voir mon corps ainsi que mon être masculin disparaître au profit d'un corp et d'un être féminin. Dès 5 ans, j'ai ce souvenir prégnant. Une attente formulée avec un imaginaire d'enfant, cette espérance de voir une fée apparaître et d'un coup de baguette magique me transformer, ou une version plus technique, formulant l'espoir qu'une "machine à transformer en fille" puisse me rendre ce service que de me débarasser de ce corp que je déteste autant que de son pendant mental qui me fait horreur.

Je me souviens d'une attirance irrépréssible pour les vêtements féminins dès mes 5 ans. Dès que je sus où prélever les effets nécessaires à satisfaire mon besoin de "mise en conformité" avec mon état féminin, j'allai chiper tout ce que pouvais dans les tiroirs de ma mère ou de ma grand-mère ( Avec laquelle nous vivions ), dans des penderies où les femmes de la maison délaissaient ou stockaient les vètements qu'elles ne portaient plus, temporairement, ou définitivement. Les combinettes en soie, la lingerie, les collants, les bas, les robes, jupes, chemisiers et quelques rares fourrures me devinrent absolument indispensables, et, comme les femmes de la maison ne se souciaient pas trop de moi tant que je restais dans ma chambre, je passai des heures vêtue de ces merveilleuses étoffes à me projeter dans la vie de femme que je souhaitais ardemment vivre. Ce qui me permis aussi de développer un art consommé de la dissimulation ( Pour cacher ce dont je ne souhaitais me séparer sous aucun prétexte entre autres ) et, au plus jeune âge, déjà, pour vivre une vie parallèle qui passa sous les radars pendant quelques années.

Pendant ce temps, chaque émission télévisée ( Nous vivions alors une aire où internet n'existe pas ) susceptible de faire référence à ce qu'on appelait encore le transsexualisme ( La télé étant allumée quasi-H24 sans précaution aucune, j'y découvris bien des choses qu'en tant qu'enfant, je n'aurais, très certainement, ni dû voir ni dû entendre), me rappelait à quelle point, définitivement que je partageais un destin commun avec les femmes trans qui s'y exprimaient. Pendant que chaque femme, en général, m'y rappelait à quel point je voulais lui ressembler.

Ayant jusqu'alors pu passer sous les radars sans trop d'inquiétude, à l'âge de 13 ans, alors que j'étais en cours, ma grand-mère eut la mauvaise idée de vouloir ranger un meuble que j'utilisais pour dissimuler mes effets féminins. Lorsque je revins de cours, l'accueil fût pour le moins glacial. Il me fût alors signifié que mon expression féminine n'avait pas lieu d'être et d'être rappelé à ma condition de garçon et au fait que je ne présentais aucun trait féminin pouvant justifier les tendances que les effets découverts laissaient envisager. Je me vis par ailleurs menacé de voir la chose rapportée à ma mère et d'être rejeté hors du domicile familial ( Je viens d'une famille dans laquelle, les concepts de psychologie et de mesure dans les réactions n'ont aucune signification) .

Ce jour précis scella alors mon destin ou en tout les cas le contrariera longtemps. Devant l'affront qui me fût fait et les menaces intimées, je remiserai alors pour longtemps, non seulement tout espoir de voir ma féminité s'exprimer, éclore au grand jour, mais en plus, me condamnant moi-même, je souscris à des pratiques sportives visant à me bâtir un corp et une âme de mâle. Et pour autant.... Chaque femme que je croiserai et qui répondra, dans ces caractéristiques physiques et vestimentaires, à la femme que je rêve d'être, me rappelle combien je déteste ce que je suis, combien je ne peux pas accepter mon corps ni mon être masculin, combien je les exècre et l'un et l'autre. Pendant que mes congénères masculins bavent d'envie à l'idée d'avoir des rapports sexuels avec toutes celles qui suscitent leur convoitise parfois bestiale, de mon côté, aucune, absolument aucune de ses pulsions ne m'est familière ni même envisageable. Je déplore ces réactions tout au contraire. Pour autant curieusement, je ne suis pas naturellement attirée par les hommes, à l'exception de l'un d'entre eux qui deviendra un ami et un collaborateur proche. Il est beau, charismatique, racé et terriblement attirant..... Je le sens sans me l'avouer à l'époque. Aussi curieusement, je ne génère pas une attraction particulière chez les femmes..... Mais j'aime leur compagnie, leur discussion, leur sensibilité. Infiniment.

Je vais me livrer à cet exercice masochiste de la quasi-négation de mon être profond ( A certaines périodes, la femme en moi ressurgira, je l'ettouferai au prétexte que mon physique ne lui permet plus d'espérer gagner la bataille, qu'elle a, selon ma perception de l'époque, perdue), pendant près de vingt-cinq ans. Je ne parlerai de cela à personne pendant ces vingt cinq années. Pendant ce temps, je n'ai de cesse de me chercher à bien des niveaux. Je me transforme, mentalement, au gré des épreuves, des besoins professionnels, et de beaucoup de lecture, physiquement, au gré des pratiques sportives. Aucune transformation achevée ne me conviens. Pourquoi? Je vis en couple et ne cesse de projeter mes envies de féminité sur mes compagnes successives. Tant dans le rapport passionné que j'entretiens avec leur garde-robe, que dans une projection et une envie permanente de prendre leur place dans les rapports intimes. J'en deviens un amant dont on vante l'effacement total au profit du plaisir de sa partenaire, et pour cause, ma seule préoccupation est de célébrer ce corps et cet esprit féminins que je vénère et de recycler d'une manière ou d'une autre ce desespoir et cette douleur de ne jamais devenir Elle, de ne jamais pouvoir jouir de la corporeité féminine, de toutes les nuances que la féminité permet, de toutes ces couleurs que ma vie aurait pu avoir au féminin. Pendant l'acte, j'imagine mille scénarios où je prends la place de ma compagne et en explore toutes les déclinaisons.

Cet exercice de dissimulation, de désaccordage d'avec mon être profond, va finir par m'épuiser, me dévitaliser, je me sens loin des autres, et les autres me sentent loin d'eux. Je m'en aperçois. Je cherche toujours de nouveaux dérivatifs pour tenter de reprendre contact avec ceux qui m'entourent. Mais je ne ferai que m'enfoncer un peu plus dans d'épais sables mouvants, et à chaque nouvelle tentative, je m'enfonce encore un peu plus.

Les années passent, et je deviens père de deux enfants. Je les aime et fais tout pour eux. Pour autant, l'insatisfaction et la mélancolie s'installent. Les sourires s'espacent, je me retranche en moi-même et deviens irascible. Je ne m'aime pas et je sais que personne ne peut me comprendre ni m'aimer puisque, finalement, j'avance toujours masquée.

Jusqu'au jour où, n'y tenant plus, au détour d'ébats avec ma compagne ( Aujourd'hui mon ex ), aux alentours de ma quarantième année, je lui "vends" comme une sorte de fantasme, le désir de m'habiller en femme et de "jouer" sur ce terrain. Sur le moment elle accepte. Elle trouve même le fait d'avouer ce type d'envie, très courageux de ma part.

Elle ne sait pas qu'elle vient d'ouvrir la boîte de Pandore. En revanche, je sais, moi, que le processus qui s'engage alors, est inéxorable et qu'il n'y aura pas de retour en arrière.La digue a cédé sous les coups de boutoir du subsconscient et de la femme qui m'habite. Je vais alors m'enhardir. Les enfants sont encore en bas âge et dorment encore d'un sommeil profond pour quelques années. Nous habitons un Duplex. Les chambres et la salle de bain des enfants sont en bas. Tout le reste en haut. Configuration idéale pour vivre ma féminité dans "mes appartements" dès que possible. Ce qui finit par signifier trois/quatre fois par semaine. Puis je prends part à des soirées trans dans Paris. Je conduis alors jusqu'à ces lieux entièrement apprêtée. J'attire des hommes, je suis tonique, ce qui me confère un galbe des jambes apprécié, plutôt soignée et créative dans ma recherche vestimentaire, j'évite le mauvais goût. Je suis surprise d'être convoitée malgré un physique que je trouve un peu "épais" mais est-ce que cela laisse envisager que l'expression de ma féminité dégage quelque chose de plus solaire que je ne le pense? Je me découvre. Et j'aime ce que découvre. Mais je reste sage et fidèle.

Mon dressing s'agrandit. J'ai bientôt plus de vêtements, de lingerie et de talons que ma compagne. Elle reste compréhensive, pour un temps. S'apercevant que les nuages qui m'ont accompagné pendant des années se dissipent. Tant que je suis femme.....

Dès que je reviens à un semblant de masculinité, le gris réapparait alors..... Le masculin me pose de plus en plus de problème, et il en va de même de ces attributs..... Il va sans dire qu'une transition progressive reste une hypothèse que j'envisage de plus en plus concrètement. Pensant que ma compagne, compréhensive jusqu'alors, m'accompagnerait au long de ce processus. Mais j'ai un job qui ne me permets de grands écarts d'avec la norme et je m'entends encore sermonner qu'il est nécessaire pour mes fils d'avoir un père qui soit un père..... Et pas un père qui devienne une femme transgenre.... Le champ des possibles commence alors à se restreindre.

Et clairement, et je peux le comprendre, ma compagne commence à trouver la situation de moins en moins tenable.... Elle m'intime de mettre mon dressing sous scellé et de ne plus le laisser cotoyer le sien et de revenir à une norme beaucoup plus implacable. Or, je suis arrivé à un stade où me demander cela représente un tel sacrifice et un tel désespoir que cela va me mener à commettre, de manière quasi inconsciente, un acte qui mènera à une rupture brutale que j'initierai. Aujourd'hui encore, à l'exception de ce désepoir soudain de voir la transition envisagée un temps, réduite à néant, et de la remplacer par ce qui m'apparaît comme une atomisation de mon être, je n'explique pas ce qui a pu me pousser à commettre ce que j'ai commis et que je voulais comme une rupture.

Cela fait un an maintenant que nous sommes séparés, que nous alternons la garde des enfants, qui sont forcément toujours au centre de nos préoccupations.

Après de nombreux mois de réflexion et devant la nécessité absolue de vivre ma féminité, encore seulement "atténuée" par la nécessité de j'ai de ménager mes enfants, j'ai entamé un traitement hormonal féminisant. Parce que je me vis comme une imposture au masculin, que chaque femme que je croise au quotidien me rappelle à quel point ma vie manque de saveur dans cette identité masculine et combien je crève d'envie de vivre en tant que femme, et que par ailleurs, je sens mon équilibre fragile sur ce très mince filin sur lequel je suis obligé de jouer l'équilibriste, où, sous mon balancier, figurent mon psychisme et sa nécessité d'être aligné avec le corp qui le véhicule, et, de l'autre une société et des obligations qui ne laissent parfois guère de place à nos désirs les plus profonds.

Ce qui m'attends si je tombe du filin comme ce qui m'attends à son extrêmité, sont autant d'éléments qui représentent des appréhensions et des vertiges sans commune mesure. Par ailleurs, je sens l'impérieuse nécessité de ne plus me compromettre et de ne plus être dans l'imposture. Mon esprit me dicte de ne plus faire confiance au masculin. Je ne reconnais plus ce corp encore trop masculin comme étant le mien..... Je pense que mon imposture m'a value l'isolement dans lequel je suis aujourd'hui. Et n'ayant jamais été moi-même et ne pouvant pas encore l'être complêtement, le temps du traitement, de l'annonce et d'une approche "raisonnée" ( Même si le collectif LGBTQI+ de mon entreprise est au courant de ma transidentité par l'intermédiaire d'un de ses membres et que j'ai rejoins le collectif en question ), je suis dans un noman's land aride.

Raison pour laquelle, j'ai besoin de mes soeurs trans pour garder le cap, m'accrocher et imaginer des futurs et un présent moins hostiles que ce qu'ils peuvent paraître lorsque l'on est au milieu du gué.

Merci de m'avoir lue pour celles et ceux qui auront tenus :) et je suis preneuse de vos retours sur vos parcours propres et ce qui a pu les émailler.

Envie d'une rencontre trans ? 🔞
Pour des rencontres sans lendemain
avatar contributeur Eleana
Eleana
04/03/2024 à 10:03

Bonjour DodoRémi,

Merci pour ton accueil.

J'espère également pouvoir tisser quelques liens sur Beto.

Belle journée à toi 🙂.

Bises

avatar contributeur de Hélix
Hélix
05/03/2024 à 15:54

Coucou Eleana :)

Je ne saurai t'être d'une quelconque utilitée, étant moi-même quelque peu "égarée" ... cependant j'ai apprécié lire ton témoignage, très bien écrit et touchant ; Merci ! :)

Hélix

avatar contributeur Eleana
Eleana
05/03/2024 à 16:10

Coucou Hélix,

Merci pour ton petit message.

Disons que je suis surtout sujette à des questionnements concernant les conséquences de la transition et je me débats avec mes attentes et exigences qui mettent la barre très haut :).

En ce qui concerne sa nécessité absolue, il n'y a aucune équivoque. Raison pour laquelle j'ai initié ma THS.

Comme le dit Spinoza, nous ne faisons que "perséverer dans notre être". Et aujourd'hui, je n'ai qu'une conscience on ne peut plus acerée de la justesse de cet aphorisme.

Je te souhaite de pouvoir trouver les réponses que tu attends et d'être aussi heureuse et en paix avec toi-même que possible.

Eleana

Envie d'une rencontre trans ? 🔞
Rencontre Trans

STOP à la fétichisation des personnes transgenres. betolerant est le seul site de rencontre trans à ne pas considérer la transidentité comme un vulgaire fantasme fétichisé. Ne pas confondre travesti et transgenre. Pas d'annonces trav ici !

Actualités Transgenres

Les actualités transgenres sont des informations liées à la communauté trans. De la transphobie, au coming-out, on vous offre un large choix d'articles sur la transidentité.



Suivez-nous
Téléchargez l'application
Application android
conçu avec par Carbonell Wilfried
© Copyright 2024, betolerant.fr