On estime souvent que notre faculté à distinguer le bien du mal vient de l’éducation et de la culture. Pourtant, même des tout-petits en font preuve…
En retard pour un rendez-vous, vous roulez sur une route déserte quand un automobiliste en panne vous fait signe. Vous vous arrêtez pour lui porter secours. Ce geste vous retarde, mais vous n’avez pas réfléchi, il fallait l’aider. Tenir ses engagements, rembourser ses dettes, rendre service à ses proches ou, plus récemment, respecter le confinement… Autant d’actions qui font appel, au quotidien, à notre sens moral, activé au moment d’agir ou de porter un jugement sur les actions des autres.
D’où vient-il ? Peut-être estimez-vous, comme les théoriciens culturalistes, que le sens moral est surtout le fruit de l’éducation, de la vie en société, de la culture, bref qu’il résulte de l’apprentissage de normes ? En fait, il serait ancré en nous dès la naissance. « Nous pensons que le cerveau d’un bébé est précâblé, préparé à produire des jugements moraux, tout comme il est prédisposé à apprendre un langage sans savoir parler. C’est l’hypothèse naturaliste », explique Stéphane Debove, docteur en biologie et en psychologie évolutionnaire. Des dizaines d’études ont montré que, dès le plus jeune âge, les bambins se révèlent moraux. À 3 ans, ils donnent le plus gros des gâteaux préparés par deux fillettes à celle qui a le plus travaillé, ayant intégré l’idée de mérite et de justice proportionnelle.
Lors d’une expérience de 2011, publiée dans la revue scientifique PNAS, des bébés ont assisté à des saynètes avec des marionnettes d’animaux : dans l’une, un canard essaie d’ouvrir une boîte contenant un hochet. Un éléphant arrive et l’aide, ou au contraire saute sur la boîte pour la refermer. Ce dernier joue ensuite avec une balle, qui est rattrapée par une souris. Elle la lui rend, ou bien part avec. À l’âge de 8 mois, les enfants choisissent la souris qui a aidé l’éléphant ayant soutenu le canard. Mais quand l’éléphant a bloqué le canard, 80 % d’entre eux optent pour la souris qui a gardé la balle. En somme, ils évaluent le comportement des animaux dans leur contexte : il faut aider les autres, certes, mais il est moralement acceptable de causer du tort à quelqu’un qui s’est mal comporté.
Nous décidons spontanément, mais ne savons pas expliquer nos décisions
Le sens moral partage d’autres points communs avec les sens physiologiques, comme le goût, notamment leur caractère universel. Dans une étude de mars 2019, des anthropologues d’Oxford ont passé au crible les codes moraux de 60 sociétés du monde entier et ont trouvé sept valeurs communes : aider sa famille, sa communauté, rendre la pareille pour un service rendu, se montrer courageux, partager les ressources, respecter ses aînés et la propriété d’autrui. Évidemment il existe des variantes, et certaines traditions peuvent heurter notre sens moral. Mais, selon les naturalistes, les points communs l’emportent sur les différences.
Autre spécificité, « le sens moral est rapide et inconscient, souligne Stéphane Debove. Vous ne connaissez pas le calcul effectué par votre cerveau pour déterminer pourquoi il ne faut pas laisser se noyer un enfant, vous avez juste accès au résultat final ». « Nous avons souvent du mal à justifier nos intuitions morales, ajoute Florian Cova, professeur de philosophie morale à l’université de Genève. Et quand nous y parvenons, il s’agit de rationalisations a posteriori. » Ainsi, lors de plusieurs expériences menées par Jonathan Haidt, professeur à l’université de New York, en 1993 et 2004, face à des situations moralement condamnables (inceste entre frère et soeur, laver les toilettes avec le drapeau national), les participants disaient « je sais seulement que c’est mal », peinant à argumenter.
Si nous sommes tous équipés du même sens moral, pourquoi certains agissent-ils avec égoïsme quand d’autres se dévouent corps et âme à autrui ? Les mécanismes à l’oeuvre dans le cerveau restent mystérieux. « Jonathan Haidt a identifié cinq sources d’intuition morale : la réaction à la souffrance d’autrui, à l’injustice, le respect de l’autorité, l’amour de sa communauté, le dégoût face à l’impureté. Chacune dépendrait d’un système cognitif distinct », explique Florian Cova. L’esprit moral serait une sorte d’égaliseur à cinq canaux, et tout individu opère inconsciemment un réglage sur chaque canal, d’où une palette de comportements moraux. Selon Stéphane Debove, il n’existe qu’un seul programme cognitif, un algorithme dans lequel entrent des informations et qui génère en sortie un jugement moral. Les données arrivant dans l’algorithme varient d’un individu à l’autre (selon son éducation, le contexte, etc.) mais aussi dans le temps. Par exemple le tabagisme passif, toléré il y a quelques années, est aujourd’hui condamné. Le principe moral n’a pas changé (ne pas nuire à autrui), mais nous connaissons désormais le danger du tabagisme passif pour l’entourage.
Par ailleurs, le sens moral n’est pas seul maître à bord pour diriger nos comportements. « Dans le cerveau, d’autres algorithmes nous poussent à préserver notre réputation, protéger notre famille, ne pas mourir de faim, etc. Parfois, ils entrent en conflit, ce qui engendre des dilemmes moraux », expose Stéphane Debove. L’environnement, l’éducation, la culture, le pays dans lequel on vit influencent ce sens moral. Par exemple, « les Américains et les Européens s’accordent sur le devoir d’assistance envers les plus démunis, écrit le psychologue, philosophe et anthropologue Nicolas Baumard dans Comment nous sommes devenus moraux (éd. Odile Jacob, 2010). Mais ils s’opposent sur l’importance de l’aide à accorder. Une majorité d’Américains estiment que les pauvres sont responsables de leur pauvreté, tandis que la plupart des Européens pensent qu’ils ne peuvent s’extraire de la pauvreté par eux-mêmes ». Le principe moral reste identique – il faut aider les malheureux – mais, culturellement, Américains et Européens n’ont pas la même perception de la chance, ce qui explique chez les premiers une plus grande tolérance à l’inégalité.
Un comportement exemplaire a dû favoriser la survie de nos ancêtres
Un paradoxe demeure : comment la morale a-t-elle pu être sélectionnée par l’évolution alors qu’elle semble aller à l’encontre de l’intérêt personnel de l’individu ? Quand vous achetez du chocolat labellisé commerce équitable, vous acceptez de payer plus cher afin qu’un inconnu à l’autre bout du monde gagne mieux sa vie. Si vous aidez une personne âgée à traverser la rue, vous perdez du temps. Certains biologistes supposent que la morale, coûteuse en apparence, procure des bénéfices cachés. Agir moralement aurait pu permettre d’être choisi comme partenaire pour élever les enfants, construire des habitations… Or la coopération favorise la survie. « Sur des centaines de milliers d’années, elle aurait entraîné la sélection d’un sens moral », souligne Stéphane Debove.
Face un dilemme moral, le cerveau ne sait pas toujours bien comment réagir. Prenez le célèbre dilemme du tramway fou, posé pour la première fois en 1967. Imaginez un tramway vide lancé à pleine vitesse qui va écraser cinq personnes sur une voie. En actionnant un levier, un individu, Jean, peut le faire dévier vers une autre voie où se tient une seule personne. Dans un deuxième scénario, Jean peut pousser un homme corpulent depuis un pont au-dessus des rails pour arrêter le tram. Dans les deux cas, il sacrifie une personne afin d’en sauver cinq. « Des dizaines d’études ont été menées dans le monde sur ce dilemme. Or 80 ?s gens jugent qu’il est acceptable de détourner le tramway, mais seulement 10 ? pousser une personne malgré un résultat identique, détaille Florian Cova. Dans le premier cas, la victime est un dommage collatéral alors que dans le deuxième, elle est utilisée comme moyen », ce qui pourrait expliquer la différence.
Selon Nicolas Baumard et Stéphane Debove, ce décalage s’explique plutôt par un calcul inconscient des coûts et bénéfices effectué par le cerveau. Dans la première situation du dilemme du tramway, la victime potentielle se trouve déjà sur les rails, dans une position dangereuse, alors que la seconde est tranquillement sur un pont et a donc davantage à perdre. Ce calcul expliquerait pourquoi nous jugeons moral de dépanner un voisin qui a des soucis informatiques – cela ne va nous prendre qu’une minute pour lui faire économiser de longues heures – mais qu’il n’apparaît pas de notre devoir de prêter main-forte à tout le quartier – ce qui prendrait trop de temps.
Sauver un enfant de la noyade et perdre 300 euros, oui ; aider une ONG, bof…
Face à un dilemme moral, l’intuition guidée par les émotions prime souvent, puis le raisonnement prend le pas. Les intuitions sont-elles toujours justes ? Pas sûr, répondent certains théoriciens. Le philosophe australien Peter Singer a imaginé une expérience : vous passez devant un étang où un enfant se noie. Votre intuition vous dicte de sauter à l’eau, quitte à ruiner votre costume neuf à 300 euros. Rentré à la maison, vous ouvrez une lettre d’une ONG vous demandant un don pour sauver des enfants à l’autre bout du monde. Dans la majorité des cas, votre intuition morale ne vous incite pas à dépenser cet argent. Pourquoi ? Selon Peter Singer et d’autres penseurs dits utilitaristes, la morale devrait pousser à maximiser le bonheur du plus grand nombre. Or, dans le deuxième cas, notre intuition repose sur des processus psychologiques contestables comme la distance, l’impression que notre aide serait insignifiante, etc. Selon lui, il faudrait parfois se méfier des intuitions morales, ou en tout cas ne pas s’en contenter pour fonder nos actions. Mais trancher entre morale intuitive et morale réflexive revient parfois à penser… contre son propre cerveau.
Personne n’a dit qu’agir moralement était facile !
NB : Ce texte ne figure pas sous ma signature.
source : caminteresse.fr
Intéressant, j'avoue avoir lâché avant la fin tout de même ^^"
Je ne pense pas qu'on puisse dire que c'est inné point. Il y a une part innée et une part venant de notre éducation, caractère et sûrement d'autres choses.. Ensuite j'imagine que certaines personnes naissent sans cette part innée ce qui explique la présence de personnes "malades psychologiquement" au sein de notre société. Et heureusement que cela peut être rétabli en partie/plus ou moins bien, selon l'éducation et tout ce qui peut intervenir dans la construction de soi.
Bref c'est un sujet très intéressant et tout aussi complexe !!
Je trouve que la société devient de plus en plus individualiste, ce qui pourrait avoir pour effet de faire régresser ce sens moral inné au fil du temps..
Comme tout sujet qui tend à vouloir chercher une origine physiologique à une constante comportementale, la difficulté majeure survient lorsque un impératif devient le marqueur communautaire et que la cause propre à une action est assumée par chacun-e selon sa nature et sa culture dans sa liberté individuelle…
De cela il apert que le sens moral soit un jugement de l’intelligence et un élan de la volonté par trois conditionnements évolutifs, deux sont dû à l’acceptation de l’altérité, ce sont les plus radicaux : 1 la dépendance affective et 2 le mimétisme éducatif, le troisième est le retour de ses propres expériences qui régularise notre comportement pour assurer nos besoins vitaux, assouvir nos envies, réaliser nos projets et tendre vers nos désirs spirituels (amour et paix de l’esprit)…
De ce fait, il n’y a pas « d’intuition morale » car la faculté qui nous fait agir en vue d’être heureux-se n’est pas immédiatement dépendante d’une hiérarchisation socio-culturelle mais de la conscience que notre vie est irréductible à son vécu même si elle est impliquée dans un milieu naturel et culturel (donc relationnel et moral)…
La conscience morale n’est donc pas une réaction à la souffrance d’autrui, à l’injustice, au respect de l’autorité, à l’amour de sa communauté et au dégoût de l’impureté, car ces cinq post-conditionnements sont déjà issus d'une constitution culturelle et ne peuvent donc pas être cause propre de notre agir moral…
Ainsi rechercher la cause du sens moral doit pouvoir rendre compte :
De la multiplicité des temps et des lieux,
De l’individuation et de l’effet de groupe,
De la réactivité cas par cas et la conditionnalité de l’habitude,
De la connaissance des engagements relationnels et du refus de ses engagements,
De la totalité de nos besoins, envies, projets et désirs dans une responsabilisation personnelle,
De l’irréversibilité de certains actes et de la possible « réparation » des conséquences de certains autres,
etc...
et enfin le sens moral dans sa cause propre doit naturellement être inclus dans la continuation de la vie qui assume la mort et donc l’acceptation de sa propre limite individuelle…
En conclusion, les sciences cognitives ou neuronales recherchent systématiquement dans la matérialité du corps l’origine de l’activité et de la réactivité humaine, là où elle est et là aussi où elle n’est pas, c’est pourquoi elles deviennent si caricaturales lorsqu’il s’agit de « situer » la cause propre de notre vie spirituelle…
à suivre donc...
Citation de Jstophe #338280
Très Cher JsTophe
Je répond a votre Post sans recherche psy ou scientifique, mais, avec des exemples fictifs qui peuvent êtres proches du réel....
Selon notre environnement de vie, selon ce que l'on est conduit à vivre et selon Qui nous rencontrons sur notre chemin de vie, notre Propre Moral peut se modifier en fonction des circonstances , et ce, quelle que soit la source de notre Bonne ou Mauvaise Morale.......
Exemple : Si Vous n'avez pas ou plus d'argent et que vous avez graaaaave la dalle, que faites vous ? Perso, je volerais dans un supermarché du Caviar et du Champagne....... euuuuuuuuh, nannnnnn, je voulais dire que je volerais de la bouffe, sans que ça me pose un problème avec Ma propre Morale ni aucun problème de conscience personnelle......
1/Si Vous avez vos besoins basiques satisfaits, que vous avez une belle maison, un jardin, un boulot passionnant, sans oublier que dans ce cas de figure, on a toujours plein d'amis bien sûr......... Vous pouvez donc mener plus facilement, une vie pleine de sagesses et de valeurs Morales ( même s'il va exister des exemples contraires )........................2/ Vous pouvez être Pauvre et avoir une vie pleine de valeurs morales également, mais, à mon avis, ca demande un peu plus d'effort sur soi que la situation précédente.....
Imaginez que la personne de l'exemple numéro 1 et celle de l'exemple numéro 2 trouvent toutes deux un portefeuille dans la rue avec papiers identités et Argent à l'intérieur.......Peut-être que l'exemple 1 va ramener le portefeuille a la personne ou au commissariat pour ne pas avoir mauvaise conscience ni de problème avec ses valeurs morales ????? Et peut-être, que l'Exemple 2 va prendre l'argent à l'intérieur et pour s'aligner un peu à ses propres valeurs morales va deposer le portefeuille dans une boite aux lettres pour se donner aussi, une moitié de bonne conscience.......
Mon sens de la Morale Quand j'étais petite, à l 'école je prenais les jouets des autres pour les miens, je tirais la langue à tous les passants, je cachais les bonbons dans mes mains derrière le dos en disant que c'est pas moiiiiiiiiii qui les aient pris, je mentais comme une arracheuse de dents, je signais mes carnets de notes ou les mots de mes cahiers et d'un autre côté, je disais bonjour, au revoir, merci, s'il vous plait à tout le monde, j'aidais mes pépés et mémées voisins(es) a porter leurs courses et j'aidais à la maison..... J'étais trop trop trop gnognnnnnnonne....
Je pense personnellement que je peux etre autant Immoralement Moral qu'avec peu de Moral dans certaines situations qui me pousseraient à contrarier mes propres valeurs.....
Toutes personnes se reconnaissant à travers mes exemples "fictifs" sont priées de venir me faire un gros calin ....... 😍 ...........Si......Si.....Si...... Ce ne serait pas Moral de votre part, de me refuser une si petite chose en compensation, d'autant, que j'offre l'occasion de vous repentir de vos mauvaises conduites 😂
@jstophe
dans ce que vous décrivez pour les enfants très jeunes, s'agit-il de sens moral ou d'empathie? ce n'est pas la même chose... je me méfie beaucoup des neurosciences (quels objectifs?), et des conclusions qu'on en tire.