Il suffit d'une fraction de seconde, pour tout basculer.

Elle pleurait. Les mains dans le dos, crispées sur la barre transversale, à la hauteur de sa poitrine, perdue dans ses pensées, Jade laissait couler librement les larmes qui captaient les derniers rayons du soleil de fin d'après-midi.

Ses yeux bleus rougis par les pleurs qui la secouaient depuis si longtemps, se posaient sur l'écume d'un blanc éclatant, résultat du courant violent qui frappait de plein fouet les nombreux rochers à demi submergés quelques 40 mètres plus bas.

Dans son esprit embrouillé par la douleur qui avait envahi tout son être, seule la mort semblait une alternative acceptable.

Les policiers avaient fermé le pont à la circulation, et, à une distance respectable d'elle, ils tentaient de détourner son attention de l'écume sur les rochers aux contours acérés, meurtriers.

Que disaient-ils ces policiers?. Lui envoyer de l'aide?. Un psy?. Comment un psychologue pourrait-il l'aider à oublier une vie inutile, pleine de déceptions et d'abandons?. Jade se dit qu'elle ne voulait que mourir, pas se donner en spectacle.

Une équipe de journaliste la filmait sans se donner la peine d'être discrets, faisant de gros plans sur son visage grave, résolu aux joues luisantes de larmes, sur ses yeux rougis par les pleurs, baissés comme en prière vers les rochers miséricordieux qui abrégeraient ses souffrances.

Comment expliquer à tous ces bureaucrates, enlisés dans la quiétude de leurs habitudes et dans le pouvoir de leur société boiteuse, la douleur de vivre, la peine incontrôlable qui ronge chaque parcelle du corps comme un acide circulant dans les veines?.

Certes, sa douleur pouvait sembler bénigne comparée à celle d'autres personnes, mais elle l'avait abandonnée, elle avait osé partir alors qu'elle avait besoin d'elle plus que jamais. Elle s'était éloigné d'elle en lui soufflant un baiser, un sourire tendre sur les lèvres, ces lèvres qu'elle avait si souvent embrassées.

Et par la faute d'un chauffard ivre, elle était partie, partie à jamais, partie pour tout le monde, et elle restait sur cette terre invivable, elle avait aimé cette femme à en mourir. À en mourir, c'était le cas, car après un deuil cuisant de souvenirs perdus, elle s'apprêtait à la rejoindre.

Sa vie entière n'avait été qu'échecs et douleurs, faux espoirs et promesses en l'air, la seule exception fut cet amour passionné, et une société pourrie trop clémente envers les criminels lui avait volé son seul bonheur.

Le chauffard, un récidiviste, s'en était tiré avec une légère sentence, à purger dans la collectivité, son avocat ayant trop bien fait son travail. Les criminels rient et les innocents pleurent, se dit Jade.

Terrassée par le poids de ces souvenirs malheureux, devant les yeux abrutis de télévision de centaines de personnes, en direct à l'écran, Jade desserra ses mains moites de sueur de la barre métallique qu'elle tenait de dos, tendit les bras de chaque côté, bien à l'horizontale et se laissa tomber, tête première, vers les rochers noirs, vers la rivière écumante.

Une fraction de seconde suffit à la précipiter dans les bras de la mort.

Dans des centaines de télévisions, l'image fut coupée, remplacée par celle des divers présentateurs de nouvelles, clamant leur peine pour cette pauvre femme. Les regards se voilèrent quelque peu, les gens réfléchissaient, pour une rare fois, tous les témoins de cette mort s'interrogèrent sur leur société. Certains pensèrent qu'elle avait peut-être pu faire avancer les choses ..

Mais rien n'allait changer.

Bien vite on l'oublierait .

Comme tant d'autres ..

Citation de Montana #516064

Magnifique ode à l'amour d'un être.

Le spectacle d'une grande tristesse, douleur, d'une mort imminente toujours d'actualité pour le commun des mortels, c'est affligeant comment on peut être devant cela.

C'est toujours très bien narré chère @Montana, vous êtes une écrivaine avec tous pleins de sensibilités, d'émotions, je commence tout doucement à être une fan de votre plume si remplie de divers affects qui me permettent de parcourir tellement de recoins de mon esprit-âme et me remettent en questions. Merci pour cela.

Voilà mon ressenti très personnel face à votre texte 😉.

À la prochaine...

Tashunka.

Citation de Tashunka3105 #516124

Merci beaucoup, ça me touche ce que vous me dites, j'essaye au maximum de changer de registre. Vous voyez je pense à vous qui êtes une personnes sensible.

Vous allez devenir avec le temps, une lectrice assidue de mes histoires.

A très bientôt et passer une excellente soirée.

Ce changement de genre de nouvelle est une réussite.

Tu es adaptable à tout les genres ou presque , on dirait.

Merci beaucoup Reloted.

Mais je te rassure, je vais revenir aux histoires d'horreurs...... très bientôt.

Citation de Montana #516530

Les histoires d'horreurs c'est ton cœur de métier mais j'aime aussi quand tu fais autre chose.

En tout les cas, j'essaye de temps en temps de changer de registre.

Citation de Montana #516620

J'aime ces changements.