Quand l'imaginaire, devient réel.

avatar contributeur de Montana
Montana
10/07/2024 à 19:00

— Ce plat est infect !

Christopher repoussa son assiette.

— Je n’en avalerai pas une bouchée de plus.

— Mais, Maître, tenta Acelin en s’approchant du roi.

— Silence ! Apportez-moi un autre plat.

Acelin tapa deux fois des mains, un domestique tout habillé de blanc apparut pour aussitôt disparaître vers les cuisines, assiette en mains.

— Vous devez vous nourrir, seigneur. Il est impératif pour le bien de vos sujets que vous soyez en bonne santé, car…

— Je sais, je sais, mon cher Acelin, jamais vous ne m’avez porté mauvais conseil, ainsi suis-je disposé à vous écouter. Mais ne m’embêter plus avec cette histoire, je la connais d’un bout à l’autre.

— Votre sagesse vous honore, Majesté.

— Vous pouvez disposer, conseiller, fit Christopher en s’étirant sur ses couvertures.

— Bien, Maître, dit Acelin en s’éclipsant.

« Que serais-je sans ce bon vieux Acelin, pensait le roi en cherchant le sommeil. Rien. Un autre homme dans la masse, un inconnu parmi les inconnus, une ombre dans la nuit. Mais maintenant, que la providence soit bénie d’avoir placé sur ma route cet être fabuleux. »

Il n’avait pas toujours vécu comme un roi, dans le luxe de son palais immaculé. Il avait vu le jour dans un bourg défavorisé et avait commencé très jeune à travailler pour aider sa famille à survivre dans la misère. C’est ainsi qu’il en était venu à passer une bonne partie de son enfance au service d’un aubergiste, pour qui il était homme à tout faire.

Christopher n’aimait pas ce travail. Il n’aimait pas avoir à se pencher pour laver le plancher, ni devoir débarrasser les tables des déchets des clients avant de les nettoyer. Il n’aimait pas se lever tôt le matin pour revenir tard le soir. Et il détestait son patron.

Il vouait toute la haine qu’il pouvait à cet homme méprisant et parfois violent. Il avait des habitudes que Christopher ne pouvait tout simplement pas supporter, comme de hurler ses ordres, alors qu’il ne se tenait qu’à quelques pas de ses employés. De plus, Christopher ne recevait qu’un minuscule salaire, tout à fait inapproprié pour la tâche exténuante qu’il devait accomplir quotidiennement.

C’était par un soir humide et frais, après une journée pratiquement infernale, qu’il l’avait rencontré..

— Bonsoir Monseigneur.

— Monseigneur ? Vous devez faire erreur, monsieur, répliqua Christopher au petit homme qui se tenait devant lui, dans la ruelle mal éclairée.

— Point du tout, Messire aurait-il oublié sa descendance royale ?

Descendance royale? Les mots se répercutèrent un moment dans l’esprit ahuri de Christopher. « Non, c’est impossible, je ne suis pas… »

— Ne doutez point mes dires, Seigneur, fit l’homme, comme s’il avait lu dans ses pensées. Je suis votre éternel serviteur. Acelin, pour vous servir.

Christopher ne savait pas quoi dire, ni quoi faire.

— Mmm… murmura Acelin en se relevant. Nous allons devoir vous éduquer. Sire ,venez, suivez-moi.

Christopher le suivit. Ils aboutirent dans une vieille maison abandonnée qui lui était familière, il avait l’habitude d’y jouer avec quelques amis, quand il était plus jeune.

— Voici un endroit sûr. Car votre royale personne est en danger.

— Comment ?

Acelin l’invita à s’asseoir à même le sol. Ce qu’il fit.

— C’est une longue et pénible histoire que je m’engage à vous faire dire.

Apparemment, Christopher serait le fils du grand monarque Tristan, qui fut assassiné par son frère 10 ans plutôt, quelques semaines seulement après sa naissance. Alecin, sous les ordres de son roi, avait réussi à s’enfuir avec le bébé. Pour endormir tout soupçon, il avait échangé Christopher avec le bébé d’une famille pauvre. Il avait laissé traîné l’enfant près du château, et à peine quelques minutes plus tard, il se faisait égorger par les sbires de son oncle malveillant.

Les années avaient passé, et Alecin se tenait toujours dans l’ombre, surveillant celui qu’il savait destiné à régner sur le royaume. Il savait tout sur son protégé. Alecin savait, entre autre, que son patron était à la solde de son oncle, et que cette crapule se préparait à assassiner Christopher, détruisant ainsi pour toujours la lignée de son défunt père.

— Vous devez tuer cet homme ignoble. Pour vous, mais aussi pour le royaume.

— Mais comment ? demanda Christopher, dépassé par les événements.

— Prenez cette arme. Christopher s’empara d’une vieille dague rouillée. Ce n’est pas une arme digne d’un Roi, mais peu importe la parure en ces heures sombres. Nous devons agir vite. Allez accomplir votre destin. Je vous attendrai ici.

— Il n’y a donc personne pour accomplir cette tâche ingrate à ma place ? s’indigna Christopher.

— Quand votre majesté sera reconnue, vous aurez le pays entier à votre service. Pour le moment, vous n’avez que moi, et je me fais vieux, je ne suis pas apte à faire ce genre de travail.

— Bien, murmura Christopher.

— Soyez courageux, lança Acelin tandis que Christopher franchissait le seuil de la maison décrépie. C’est maintenant que vous entrez dans l’Histoire.

Il entra par la porte arrière de la boutique, qu’il savait entrouverte en permanence. Son patron était là, recalculant les profits des dernières semaines.

— Christopher ? Qu’est-ce que tu fais ici, espèce de..

Il ne termina jamais cette phrase. Il est très difficile de parler quand on a la gorge ouverte d’une oreille à l’autre.

— C’est fait, répéta-t-il, dansant joyeusement, l’arme ensanglantée encore en main.

Étrangement, Acelin ne partageait pas sa bonne humeur. « Mais qu’ai-je dont fait ? pensa Christopher, consterné. »

— Il vient de me parvenir une nouvelle horrible, Seigneur. vos parents adoptifs que je croyais dignes de confiance, ils vous ont trahi. Ils se sont laissés acheter.

Christopher considéra sa dague avec un profond dégoût. « De si braves gens, je croyais tant en leur amour, ils devront payer, ils auront ce qu’ils méritent… »

— Peut-être vaut-il mieux que je n’intervienne pas, dit Alecin.

Mais Christopher n’entendit pas, il était déjà parti.

Il était attablé devant une généreuse portion de potage. Il renifla le bol, mais ne perçut pas le poison. Sa mère, le regardait, jouant à la perfection sont rôle parentale. « Ça ne va pas ? »

— Je vais très bien, répondit-il d’un ton sec.

Il sentait la lame du couteau contre sa peau, sous sa ceinture.

— Tu ne manges pas ?

— Je n’ai pas faim.

— Mauvaise journée au travail ?. Encore des problèmes avec ton patron ?.

— Non. Je ne crois plus avoir de problèmes avec cet homme, répondit-il en se levant.

Elle lui tournait toujours le dos. Ce serait facile.

— Tu t’es trouvé un nouvel emploi ?.

— En quelque sorte.

La lame fendit l’air, la peau, les ligaments, contourna un os, avant de se loger bien profondément dans le cœur encore battant. Un faible hoquet s’échappa d’entre les lèvres de la traîtresse. Il enfonça la dague un peu plus, il voulait voir la pointe de la dague ressortir de cette poitrine encore sujette à quelques soubresauts de douleur. Finalement, il la laissa tomber. Un filet de sang coulait de sa bouche. Elle ne dénoncerait plus personne. Plus jamais. Il cracha sur le corps.

Il sortit de la maison. Le corps de celui qu’il avait aimé en tant que père gisait toujours à même le sol du jardin, le crâne défoncé par un de ses massifs pots de fleurs qu’il affectionnait tant. Lui non plus n’avait pas eu le temps de crier.

Peut-être pourrait-il vivre en paix pour un moment.

Il se retourna sur son lit royale. Il aimait se remémorer cette histoire. Parfois, il demandait à Alecin, son fidèle conseiller, de la lui raconter.

Il se souvenait encore de son arrivée au palais, des gardes loyaux l’y avait conduit, dans un cortège d’un blanc immaculé. On avait vanté ses exploits d’un bout à l’autre du royaume.

Christopher s’endormit paisiblement, heureux de sa gloire.

— Et lui, il ne marche pas avec les autres ?

— Non ! Surtout pas !

— Quoi, il est dangereux ?

— Dangereux, tu dis ? Il a tué trois fois avant qu’on le boucle.

— C’est pas le seul ici.

— Oui, mais lui, il s’en vante. Tu sais, le genre de gars « j’ai-buté trois personnes dont mes parents ".

— Laisse-moi deviner, il entend des voix ?.

— Oui, mais lui, il a des hallucinations visuelles en supplément. Un joli cas.

Les deux infirmiers s’éloignèrent en continuant leur conversation.

Alecin passa sa tête à travers la porte. « Un joli cas, je vais lui en faire un de joli cas. » Il jeta un regard vers Christopher. « Je n’ai plus rien à faire avec cet imbécile. » Il fit un pas dans le couloir. « J’ai envie de changer d’hôte. Pourquoi pas l’un des deux connards juste devant moi. ? Ou même, les deux en même temps ?. Ça sera quoi, cette fois-ci ? Des extra-terrestres, des anges ? J’improviserai, comme d’habitude. »

Il éclata d’un rire sadique avant de se brancher sur les ondes des deux infirmiers.

— Bien le bonjour, messieurs ! Ça vous dit, une partie de cartes ?.

avatar contributeur de Acha
Acha
27/08/2024 à 21:12

Histoire originale et inattendue, merci beaucoup pour ce partage.

avatar contributeur Reloteb
Reloteb
28/08/2024 à 15:50

Histoire intéressante , au début je me suis dit "C'est quoi tout ces anachronismes avec le travail salarié sans oublier les prénoms pour une histoire semblant se passer il y a des siècles" et au bout du compte on se rends compte qu'on est en psychiatrie.


Au début il y a pourtant un indice : "un domestique tout habillé de blanc" est l'indice.

avatar contributeur de Montana
Montana
28/08/2024 à 20:05

Citation de Acha #518201

Merci à toi de l'avoir lue.

Citation de Reloteb #518215

Merci d'avoir lu et apprécier mon texte. Tu devient un fin limier de mes textes.

avatar contributeur Reloteb
Reloteb
03/09/2024 à 12:50

Citation de Montana #518233

Tes textes ont une certaine structure plus ou moins complexe mais quand on comprends le truc. On le comprends.

avatar contributeur de Montana
Montana
04/09/2024 à 20:03

Citation de Reloteb #518545

Il faut simplement bien lire et on comprends mon texte.



Suivez-nous
Téléchargez l'application
Application android
conçu avec par Carbonell Wilfried
© Copyright 2024, betolerant.fr