L'année dernière, dans le cadre d'un DIU en soins palliatifs, j'ai présenté un mémoire : "D'après les soignants, la fin de vie peut-elle durer trop ?". Ce sujet m'a fait me questionner sur le temps sur lequel j'ai écrit le premier chapitre. J'ai adoré faire des recherches sue ce thème. Je me suis dit que ce pourrait être intéressant de partager non réflexions sur ce sujet au combien passionnant et sans limite. Mon écrit est en rapport avec mon mémoire bien évidemment mais il pourra service de lancement. Tout ce qui n'est pas de moi est entre guillemets. J'attends avec impatience vos réflexions...
La première définition du temps qui vient à l'esprit est celle d'une durée. Le mot temps provient du latin tempus, lui-même dérivé du grec tenmein (couper), qui fait référence à une division du flot du temps en éléments fins.
"Le temps ne comporte qu'une seule dimension (c'est pourquoi on le compare souvent à une ligne), qui s'impose absolument". Il est toujours là, bien qu'il s'écoule, et existe indépendamment de ce qui survient. Il est une chose introuvable bien que son existence ne fasse aucun doute ; tout le monde en parle mais personne ne l'a jamais vu.
"Le même mot englobe confusément trois concepts distincts, la simultanéité, la succession et la durée, et permet aussi de dire tout à la fois le changement, l'évolution, la répétition, le devenir, l'usure, le vieillissement, peut-être la mort".
Il y a le temps objectif, mesuré par les chronomètres, figurés dans l'espace par le déplacement des aiguilles d'une horloge, et le temps subjectif ou temps psychique, unique, propre à chacun, pour voir, pour comprendre, pour conclure.
En soins palliatifs, différents temps peuvent se téléscoper : celui de la maladie, celui du malade, celui des proches, celui des soignants, celui de l'institution, celui de la contrainte économique.
"Le temps en psychanalyse exclut les paramètres temporels tels que la chronologie, la durée, la fin ou encore l'ordonnance. L'inconscient exclut le temps mesurable et objectivable". Pour Kant et Einstein, physiciens, "la distinction entre passé, présent et futur ne garde que la valeur d'une illusion, si tenace soit-elle".
Définir le mot temps reste difficile ; comme l'écrivait Saint Augustin : "quand on ne me le demande pas, je sais ce qu'est le temps ; quand on me le demande, je ne le sais plus".
LE TEMPS CHRONOLOGIQUE
C'est un temps objectif, mesurable. Le chronos est un concept apparu chez les Grecs ; il est un point mouvant sur la ligne du temps aux bornes infinies. Quantifier le temps, c'est lui associer un nombre, une unité, en effectuer une mesure.
"La notion de temps est un corollaire de la notion de mouvement : le mouvement se fait dans la durée et si le temps venait à s'arrêter plus rien ne bougerait".
Le temps est une durée qui existe objectivement dans le monde ou la nature ; or dans la nature, rien n'est jamais passé ou futur, tout est présent. Sa mesure permet de créer des repères mais pas de les définir complètement. "Je ne mesure pas l'avenir qui n'est pas encore, je ne mesure pas le présent car il n'a pas d'étendue, je ne mesure pas le passé puisqu'il n'est plus. Qu'est-ce donc que je mesure ?".
Dans les religions orientales (hindouisme, bouddhisme), "le temps est cyclique avec création et destruction permanentes". Pour les trois religions monothéistes (judaïsme, christianisme, islamisme), la conception du temps est linéaire, avec un commencement et une fin.
La définition du temps ne peut pas se limiter au chronos car même si toutes les montres et les horloges de la planète s'arrêtaient maintenant, le temps, lui, continuerait.
LE TEMPS SUJECTIF
C'est un temps psychologique, philosophique, psychanalytique, bien distinct de celui des mathématiques ; ainsi, certaines heures passent plus vite que d'autres. Le "temps des horloges est homogène, régulier, absolu, uniforme alors que celui du psychique est hétérogène, irrégulier, relatif, polymorphe".
"Les processus du système inconscient sont intemporels, ils ne sont pas ordonnés dans le temps, ne sont pas modifiés par son écoulement, n'ont absolument aucune relation avec lui. La relation au temps est liée au travail su système conscient".
La temporalité est le temps tel qu'il apparaît à la conscience ; elle est composée essentiellement de souvenirs et d'anticipation donc toujours distendue, dans notre esprit, entre le passé et l'avenir, alors que le temps réel est concentré dans le présent. Elle désigne "notre façon d'habiter le temps, de le vivre, de l'imaginer, d'être en rapport avec lui". Elle est révélée par la mort, elle nous fait exister.
Pascal disait que nous ne pensons presque jamais au présent ; nous anticipons l'avenir et nous rappelons le passé. Or, "le passé n'existe pas puisqu'il n'existe plus ; l'avenir n'existe pas puisqu'il n'existe pas encore. Pourtant dans ce présent, il y a : la présence du présent grâce à la conscience et la sensibilité, la présence du passé grâce à la mémoire et la présence de l'avenir grâce à cette faculté anticipative qui nous fait attendre, désirer, craindre ". Nous pouvons nous souvenir du passé et rêver de l'avenir mais" ce rêve et ce souvenir n'existent eux-mêmes qu'au présent ". Nous pouvons vivre au présent sans pour autant oublier le passé, sans pour autant n'avoir aucun désir.
LE TEMPS DU MALADE
Le temps du malade est le temps logique, sa logique, celui de l'inconscient. Ce temps permet au patient de se situer à distance de celui de la réalité médicale ; ce temps n'est pas celui des autres ; il est singulier et s'inscrit le plus souvent en décalage de celui des horloges, du chronos. Chaque jour passé rapproche un peu plus le patient du moment ultime et le renvoie inexorablement à la possible limite de son temps, ce temps qui n'apparaît alors plus comme illimité, sans fin. "Les patients sont conduits à faire l'expérience du temporaire, du relatif, de" la vie au jour le jour ". Le temps n'est plus celui de la science, de la médecine mais un temps intérieur". Ils reviennent sur leur histoire, les bons et les mauvais moments, se questionnent sur le sens de l'existence, leurs valeurs, disent un dernier au revoir.
Pour prendre conscience du temps, il faut qu'il y ait changement donc l'idée d'anterieur et postérieur. Cela se produit lors de l'annonce d'une maladie grave : tous les patients témoignent d'un avant et d'un après. "Grâce à cette conscience du temps, l'homme se souvient de son passé et se projette dans l'avenir", mais il a tendance à oublier le présent. La temporalité est ébranlée par l'irruption de la maladie et ses différents stades d'évolution ; elle peut être comme amputée de son avenir du fait de l'incertitude compromettant une projection vers le futur bien trop incertain. "L'homme est soumis à l'implacable irréversibilité du temps".
En soins palliatifs, le temps ne ressemble à aucun autre ; il devient différent, précieux, compté, rythmé par l'évolution de la maladie et nul ne connaît sa durée. Il vient faire rupture avec l'avant : l'avant maladie, l'avant soins palliatifs. Il fait prendre brutalement conscience de l'urgence qu'il reste à vivre. C'est un temps pour se réorganiser, se préparer ou non, pour espérer, vivre encore, désirer. Il est en suspens et n'a pour seule certitude que l'incertitude ; il est aussi bien celui des traitements que celui de la vie. Il peut être celui de la solitude.
Devant la réalité de la mort, chaque patient réagit différemment. Certains sont préoccupés par le manque de temps et veulent tout faire, tout connaître avec le risque d'une insatisfaction chronique. D'autres sont comme figés dans le temps, inconscients, confus ou sidérés, s'agrippant au passé, sans projection dans le futur, un futur vide puisqu'il symbolise la mort ; qu'en est il alors du temps pour eux ? D'autres encore sont sereins et éprouvent la satisfaction d'une vie bien faite. Enfin, certains vivent pleinement le présent, bien conscients de leur finitude, appréciant le temps qui leur est accordé ; comme disait un patient en soins palliatifs en se rasant : "je ne suis pas pressé, j'ai tout le temps" ; parfois, il est urgent d'attendre.
Selon leurs croyances, les patients peuvent vivre le temps que leur accorde Dieu, espérer que ce temps soit long, prolongeant alors la possibilité d'une intervention divine.
LE TEMPS DES SOIGNANTS
Le temps des soignants, particulièrement en soins palliatifs, est le temps des soins qui s'avère dans un contexte très loin du temps pressé de l'homme moderne et du rythme propre de la vie quotidienne et de l'organisation des soins. Il demande, de la part de chaque soignant : une disponibilité pour le patient unique et différent à chaque hospitalisation, une disponibilité pour les proches et une disponibilité pour les autres patients. Or, il existe un décalage entre l'organisation des services, la charge de travail et le temps des soins, d'une rencontre. "Cela soulève la problématique de l'articulation du temps contraint et du temps relationnel". Ainsi, chaque soignant fait un compromis quotidiennement pour concilier ces deux temps, dans les limites du possible et du raisonnable. "Dans une relation de soin, la que du temps reste un perpétuel enjeu".
Il y a donc le temps des soignants qui se tournent vers le patient, mais aussi ses proches, pour les soins du corps et pour l'accompagnement de l'être, dans le respect de l'autre. La notion de cheminement, de faire route avec, est omniprésente dans cet accompagnement et s'inscrit dans une dimension à la fois spatiale et temporelle. Il s'agit d'un temps qui se veut aussi celui du réajustement, de l'anticipation. Il demande à être dans le temps du patient en accueillant sa temporalité propre ;il faut savoir attendre le patient, l'aider à être sujet de sa vie même sur la fin, l'aider à vivre au cœur du présent en restituant à ce temps sa valeur, son amplitude, son intensité et un sens ; "mettre de la vie dans le temps qui passe en donnant de la vie aux jours plutôt que des jours à la vie".
Le temps des soins est un temps partagé entre le patient, ses proches et les soignants. Pour les soignants, il y a deux temps entre lesquels il existe souvent un décalage : le temps de l'organisation et le temps relationnel.
Le temps de l'organisation des soins est contraint par des règles institutionnelles et sociales : horaires de travail, T2A, contraintes logistiques ; il est linéaire ; ce temps va souvent beaucoup plus vite que le temps psychique nécessaire à l'intégration des informations reçues. "Des logiques contraires s'affrontent constamment, faisant obstacle au respect de la dimension temporelle".
"Le temps relationnel est le temps de la relation appelée" accompagnement ", autrement dit le temps de la rencontre constitué d'une durée subjective car il suppose la rencontre des sujets-personnes en présence".
LE TEMPS DES PROCHES
Pour les proches, la mort de l'autre n'est pas un long fleuve tranquille mais un moment d'extrême turbulence émotionnelle. Ainsi, la fin de vie est le temps qui reste à vivre ensemble, un temps ébranlé, de profond bouleversement, de questionnements multiples, trouvant un sens dans des retrouvailles.
Certains proches se rattachent au malade comme s'ils voulaient l'empêcher de partir ; mais aucune maîtrise n'est possible. Le choix n'existe pas. "Il faut accepter l'irrémédiable, lâcher prise". D'autres vont trouver la fin de vie longue et difficile, dénuée de sens, devant un malade diminué par la maladie, qui souffre, qui peut être agité, confus, avec lequel la communication devient compliquée parfois impossible. Ce temps pourra paraître long, très long, trop long pour ceux qui avaient imaginé une mort de leur proche plus rapide ; un temps qui semble s'étirer à n'en plus finir, subi et pesant mais qui trouve néanmoins tout son sens permettant un cheminement autour de ce temps ultime.
Chaque personne met le temps qu'il faut pour finir sa vie.
La fin de vie ne dure pas forcément trop pour tous au même moment.
Salut Multi.
Tu as bien disséqué le sujet. La première moitié étant philosophique et la seconde plus pratique, axée sur ton milieu professionnel. C'était trés interressant. Je n'ai rien à y rajouter.
je peux juste rajouter, sur un plan complètement hors du médical, que le rapport au temps est trés différent selon les pays. Je préfère largement celui des pays du sud que celui des pays industrialisés. Ce n'est juste pas la meme approche. Alors que nous cherchons toujours à le maitriser, à maximiser l'intervalle diurne parfois en rabiotant sur le nocturne, les gens des pays moins développés (surtout les moins développés) sont complètement passifs vis à vis du temps qui passe. C'est une notion qui ne semble pas trop les concerner, en dehors du rythme imposé par le couché et le lever du soleil.
Voila, mais ça n'a peut-etre pas grand rapport avec ton sujet..
C'est intéressant de voir que le rapport au temps peut être différent selon les cultures. Il faudrait certainement un juste milieu entre notre besoin de maîtrise du temps et cet presque ignorance de l'existence du temps dont tu parles
Déjà cette relation au temps différente selon les acteurs est intéressante en soi. Mais, dans la foulée de ce qu'a dit Mimosa, d'autant plus particulièrement dans un contexte culturel au rythme tout à fait différent et surtout dans le cadre des soins pétris de médecine et de culture occidentale.
Concernant le temps des malades et sa perception, il peut être difficile à appréhender. Il existe cependant des oeuvres qui permettent d'approcher (mais jusqu'à quel point ?) le vécu de personnes malades.
J'ai découvert récemment l'existence d'une oeuvre musicale à la fois fascinante, impressionnante et malsaine. Il s'agit de "Everywhere at the End of Time" d'un artiste nommé "The Caretaker".
The Caretaker est le pseudonyme de James Kirby, un musicien électronique anglais, sous lequel il a travaillé des projets musicaux autour de la mémoire et sa dégradation graduelle, de la nostalgie et de la mélancolie. "Everywhere at the End of Time" est l'évocation des 6 stades de la maladie d'Alzheimer. C'est extrêmement dérangeant mais en même temps intéressant. Si vous n'êtes pas en état psychologique, évitez d'écouter cette oeuvre. Vous pouvez en tout cas lire cet article qui décrit l'oeuvre plus en détails.
Il fut une époque - sans doute lointaine - et dans des contrées que nous ne connaissons que par médias interposés.
L'heure était réglée sur le soleil, sa position dans le ciel et à l'aide d'un cadran solaire.
Les saisons se suivaient au bon gré de la température et de la météo.
C'était très important dans le domaine de l'agriculture et de l'élevage.
Ainsi que par son horloge biologique.
Ce qui justifie, c'est très terre à terre, certes, la mise en cause des heures été/hiver.
D'autre part, la notion de temps varie avec l'âge. Petit, enfant, adolescent, jeune adulte, on acquiert de nombreuses informations qui se bousculent quelque peu dans le cerveau, surtout avec Internet en complément de la scolarité. Plus on devient matûre, moins on apprend, et plus le temps paraît passer plus vite. Ce n'est pas qu'une impression subjective, mais une réalité scientifiquement démontrée.
Citation de Multicolore #335720
Tres Chere Multicolore
J adooooooooore tous les themes que l on doit dissequer et tortiller dans tous les sens pour mener des reflexions et c est encore mieux, lorsque, l on est plusieurs a apporter notre petite note de musique sur un sujet.
Vous avez deja super bien bosser sur le theme du temps avec ses differentes repartitions.
Meme le temps qui est impalpable, on l a conditionner et organiser aux besoins humains, du lever au coucher.
Les peuples qui vivent en foret, vivent de maniere differente avec le Temps , mais, il y a le temps du jour et celui de la nuit. Il a le temps de la chasse, de la pleine lune, de la pluie,du soleil, le temps des saisons etc etc
Le temps de planter quelques petites graines a mes pensees et je reviendrais probablement refaire germer des idees a votre sujet
Le temps dans le domaine medical est celui de l urgence pour sauver des Vies
Le temps du travail, le temps du repos, du loisir, de l oisiviter, le temps de l absence, le temps de la vie, le temps de la mort, le temps en terme d epoques et de siecles ....
La, je suis partie dans tous les sens ah ah ahah......je sais que j ai fais des fautes pour etre comprise, car, je ne sais pas trouver les accents sur l ipad grrrrrrr d habitude, j ecris sur un petit ordi.....
Je n ai pas trop le temps la, mais, c est genial de nous partager vos sujets et comme d habitude, j apprends , j apprend et re apprend ah ah ah ah
Merci a vous
.....................".
Il n'existe pas LE temps mais LES temps, beaucoup de temps, des temps pour chacun, des temps pour tout. Certains aux des bornes infinies, d'autres ont un commencement mais pas de fin, un commencement et une fin...
Quelques lignes écrites en octobre 2019 : "Cette nuit, j'ai pensé au temps. Pendant très longtemps, j'ai couru après le temps ; dernièrement, j'ai commencé à prendre mon temps ; ces quelques jours, j'ai l'impression de perdre mon temps... Difficile à gérer ce temps !".
C´est amusant tous ces mots : gagner du temps, predre mon temps, prendre le temps, n´avoir pas le temps, courir apres le temps, Alors que l´on a en realité aucune prise sur le temps qui passe. Notre rapport au temps semble decidement problematique et douloureux.