— Beaumont ! Vous êtes vivant. !
— Oui, sergent Dubois. Je suis là.
Un jeune homme venait d’entrer dans son bureau, sans frapper. Il était en uniforme.
Xavier Dubois le regardait, bouche bée.
Beaumont ne broncha pas.
— Oh, fit-il simplement.
Xavier se sentait mal à l’aise. « Mais que fait-il ici ?. Je le croyais mort !. »
— Puis-je m’asseoir ? demanda Beaumont.
— Mais bien sûr ! dit Xavier en désignant un siège.
Beaumont prit place directement devant lui. Il demeurait silencieux, fixant intensément le lieutenant.
— Mais où étiez-vous toutes ces années, bon sang ? s’enquit Xavier, incapable de supporter le silence un instant de plus.
— Je suis revenu le plus rapidement qu’il m’était possible, croyez-moi, répondit-il, impassible.
— Vous êtes déclaré mort, vous savez ! insista Xavier. Et votre femme, y aviez - vous pensé ?. Elle ne s’en est jamais remise, la pauvre.
— Avez-vous du feu ?.
— Je vous demande pardon ?.
Beaumont avait un étui de métal à la main.
— Pour fumer.
Le lieutenant Dubois regarda stupidement son visiteur avant de lui tendre un briquet. Beaumont y alluma une cigarette qu’il fuma lentement, observant le lieutenant. « Cela fait bien... Cinq ans... » pensa Xavier.
— Beaumont !. Vous prenez la droite aussi.
— Oui, sergent.
Arme à la main, le soldat Beaumont s’engagea un peu plus profondément dans le marécage, suivant quelques autres soldats.
— Nous, dit Xavier au reste de la troupe, nous continuons devant.
Le plus silencieusement possible, ils avançaient dans la fange vers le camp ennemi. À sa droite, le sergent discernait difficilement Beaumont. Même si l’étang qui les séparait ne faisait que quelques mètres, l’obscurité et le brouillard opaque dissipaient presque toutes les chances de percevoir quoi que ce soit.
Soudain, après quelques minutes, tout éclata.
— Une embuscade !.
— Tous à terre ! hurla le sergent.
La fusillade fut infernale. Après un temps qui parut pour tous une éternité, l’ennemi se retira, laissant derrière lui mort et désolation. Les quelques survivants se rassemblèrent.
— Sergent ! glapit Beaumont. Je suis blessé sergent !.
Beaumont était étendu dans la vase, répandant son sang dans l’eau déjà souillée du marais.
— Nous le sommes tous, soldat... Pouvez-vous marcher ?.
— Non, sergent !.
La tristesse voila le regard du sergent. Quand il reprit la parole, il avait reprit son air dur et autoritaire.
— Nous ne pouvons rien faire pour vous, soldat Beaumont. Désolé.
— Mais... Vous ne pouvez pas me laisser ici !. Je vais mourir !.
— Ce sera un noble sacrifice. Pour la patrie.
Le sergent se détourna et s’éloigna, emmenant une poignée d’hommes avec lui, laissant le soldat agonisant seul dans le brouillard et la douleur.
— Je vous maudis, sergent ! hurla Beaumont. Puissiez-vous brûler en enfer, salopard !.
Plus tard, le sergent envoya des hommes sur les lieux de l’embuscade. Ils n’y trouvèrent que des cadavres considérablement décomposés. Aucune trace de Beaumont
Beaumont avait écrasé sa cigarette. Il arpentait maintenant la pièce de long en large, le regard perdu dans ses pensées. Le lieutenant le suivait des yeux, inquiet. « Il est revenu... Pour me tuer... Je dois partir. Maintenant. »
— Veuillez m’excuser, Beaumont, mais je suis attendu.
Sans attendre sa réaction, Xavier se leva et le dirigea vers la porte.
— Vous pouvez bien m’accorder un peu plus de temps, lieutenant.
— Comme je vous l’ai dit.
Beaumont l’empoigna par l’épaule.
— Allez vous asseoir, Monsieur Dubois.
Quelque chose dans le regard de l’homme força Xavier à obéir.
Beaumont décrocha un cadre du mur.
— « Pour sa bravoure et son honneur au combat, cette médaille est remise à Monsieur Xavier Dubois »...
Sans un mot, il replaça le cadre et se tourna vers Dubois.
— Où étaient votre bravoure et votre honneur quand vous m’avez abandonné, lieutenant ?.
— Je…
— Je ne suis pas venu ici pour entendre vos excuses, monsieur.
« Il va me tuer ! .»
Le lieutenant tomba à genoux devant Beaumont. « Ne me tuez pas ! gémit-il. Je vous en prie !. Je suis père de famille. »
— Suffit !.
Xavier couinait de plus belle.
— Lève-toi, minable ! reprit Beaumont en saisissant Dumont par le collet.
Le lieutenant était mort de peur. Il tremblait de tous ses membres. Il tenta de se dégager de l’emprise de Beaumont : il n’y parvient pas.
— J’avais l’intention de te laisser vivre encore un peu.
La voix de Beaumont était maintenant plus grave, plus brutale, contrastant grandement avec son attitude polie qu’il arborait il y avait quelques minutes a peine.
— Je t’aurais fait mourir à petit feu..
Dubois essaya d’appeler de l’aide, mais rien ne sortit. Pas même un murmure.
— Mais en voyant cette loque, ce mollusque à qui j’ai voué tant de haine, je m’aperçois que tu ne supporterais pas le centième de ce que je t’ai réservé.
Dubois ferma les yeux. « Je suis foutu, je suis foutu. »
— Oh ! continua Beaumont, comme j’aurais aimé que tu puisse ressentir toute la souffrance. Toute la douleur.
Dubois n’osait pas rouvrir les yeux. « Notre Père, qui êtes aux Cieux. »
— Petit minable. Je crois que je vais t’achever maintenant.
« Je ne veux pas mourir. Je ne peux pas mourir !. »
— Je m’en souviendrai toujours. Le froid. La vase s’insinuant lentement en moi. La vase, lente et froide.
« Mon pistolet !. Dans mon bureau !. Si je pouvais m’en approcher. »
— Crève, salopard.
« C’est maintenant ou jamais !. »
Xavier ouvrit les yeux. Ils s’agrandirent encore plus.
« Oh mon Dieu !. Ce visage !. Ces mains. Le froid. Qu’est-ce qui. Mon dieu !. Ce visage !. Son visage !. »
Je n’ai d’autre choix, écrivit le coroner dans le dossier, que de décréter que le décès du lieutenant Xavier Dubois est accidentel. En effet, sans la moindre trace d’effraction, la thèse du meurtre est peu probable, voire impossible. Sa secrétaire affirme que le lieutenant se trouvait seul dans son bureau ; il n’avait pas de rendez-vous, et elle n’a vu personne pénétrer dans la pièce. De plus, en raison de la nature de la mort du lieutenant, l’hypothèse du suicide doit être mise de côté.
Le coroner s’épongea le front. S’il n’avait pas vu ce qu’il allait écrire, il n’y aurait pas cru.
L’autopsie du lieutenant démontra qu’il n’avait subi aucune blessure.
La main du coroner tremblait quand il inscrivit : Selon toute vraisemblance, le lieutenant serait mort noyé, les poumons emplis de vase, dans son propre bureau.
« Il y a des choses en ce monde, pensa le coroner en signant le document, des choses auxquelles il vaut mieux ne pas penser. Sous peine de sombrer dans la folie. »
Merci beaucoup Agathe1971, d'avoir lu mon histoire en entier et de l'avoir apprécier
Je n'est pas eu la chance de te lire, pour être polis....