Une expédition qui tourne au cauchemar

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Montana
04/03/2025 à 20:14

D’un pas rapide, Claire avançait à travers l’île. Le sentier dessiné par l’herbe morte s’effaçait à mesure qu’elle approchait de sa destination. Au loin, sur la falaise qui était bordée par les vagues, trônaient les vestiges de l’asile qu’elle allait bientôt explorer. Entre terre et mer, le large bâtiment de briques blanchâtres avait conservé fière allure par sa taille imposante. Les nombreuses fenêtres brisées, ainsi que certaines parties de la toiture qui menaçaient de s’effondrer, laissaient toutefois deviner que ce lieu avait été abandonné depuis longtemps.

Pensa Claire, en sachant que son expédition ne serait pas interrompue, car elle était la seule en ce lieu.

Dans la région, cet endroit tenait du mythe urbain. Selon les habitants locaux, il avait été le théâtre d’expérimentations humaines et de séances de torture. Au crépuscule, plusieurs avaient prétendu entendre des hurlements menés par les vents salins jusqu’à la rive. D’autres affirmaient avoir observé des silhouettes humaines déambuler à travers les fenêtres de la bâtisse. L’île avait reçu la même réputation et, selon les ragots, il était courant d’y apercevoir des spectres sur la plage ou sur le sentier menant à l’asile.

Les rumeurs sur ce lieu se répandirent sur la côte et il fut bientôt évité par les pêcheurs.

Claire ne put s’empêcher d’en rire.

Depuis qu’elle avait quitté cette maison qui n’avait jamais été la sienne, Claire était devenue adepte d’exploration urbaine. Sa mère n’étant plus présente pour la culpabiliser sur ses actions ou pour surveiller ses moindres faits et gestes, il ne lui restait que ce sentiment de liberté que la jeune femme exprimait en visitant ces endroits interdits au public. Ce besoin de voir et de connaître s’était enraciné en elle et grandissait depuis qu’elle avait l’âge de marcher. Combien de fois s’était-elle échappée de sa demeure dans l’espoir de la laisser derrière elle et de faire du monde sa maison?.

Après avoir survécu à son passé, ces légendes ne l’effrayaient pas le moins du monde.

Une voix timide se fit entendre :

« Et si les morts ne reviennent pas, qu’est-ce que je suis?. »

À quelques pas derrière elle, Cécile l’observait. Elle portait cette jaquette blanche qu’elle n’avait jamais pris la peine d’enlever. Claire se contenta d’avancer sans lui répondre.

Toutefois, elle n’avait jamais été douée pour bouder ou ignorer quelqu’un qui lui avait fait du tort. Son caractère était tout feu tout flamme et sa colère se communiquait à travers ses actions et ses mots. C’est pourquoi, après quelques minutes, la jeune femme finit par lui répliquer :

« Tu es une image de ma culpabilité, rien de plus. »

« Es - tu sûre que je ne suis pas un fantôme?. »

Cette fois, Claire l’ignora pour de bon. Crier ne lui servirait à rien dans cette situation. Surtout concernant cette amie dont elle était incapable de se débarrasser.

Un frisson la parcourut. Pourrait-elle un jour s’en défaire?.

Sa marche se poursuivit dans un silence lourd de sens. Et lorsque Claire arriva en haut de la falaise, elle fut soulagée de constater que Cécile avait disparu.

L’asile l’accueillait à présent par sa forme imposante. Il semblait se dresser devant elle, telle une forteresse infranchissable. Aussi fut - elle surprise lorsqu’elle remarqua que les murs extérieurs étaient vierges de signatures et de dessins.

Est-ce que je suis la première à explorer cet endroit?.

Claire sortit un marqueur et s’empressa d’y inscrire son nom sur l’entrée principale. Elle prit quelques secondes pour admirer son œuvre avant de pousser sur la porte qui demeura immobile. Après plusieurs coups de poings et de pieds, la jeune femme dut se rendre à l’évidence qu’un obstacle bloquait cette entrée et qu’elle ne pourrait pas l’emprunter.

Je ne suis pas venu ici pour rien.

Pensa Claire en inspectant le bâtiment, afin d’y trouver une autre ouverture.

Quelques mètres plus haut, hors de sa portée, elle repéra une fenêtre à moitié brisée. À quelques pas de l’asile, un arbre lui permettait d’atteindre spécifiquement cette vitre.

Claire savait comment elle allait pouvoir s’infiltrer dans le bâtiment qu’elle voulait explorer.

« Tu ne devrais pas y aller. »

Lui murmura l’image de son amie qui, tel un gardien, se tenait devant la porte d’entrée de l’asile.

« Tais-toi donc, Cécile. Tu n’as jamais voulu venir avec moi dans mes excursions de ton vivant, ce n’est pas maintenant que tu es morte que tu vas commencer à me donner des conseils. »

Claire s’assura que son sac à dos soit bien ajusté sur ses épaules avant d’entamer l’escalade des premières branches de l’arbre. Mince et petite depuis sa naissance, la force physique n’était pas sa plus grande qualité, mais la jeune femme avait fait assez d’expéditions pour se tenir en forme et, surtout, pour pouvoir répondre à ce genre d’imprévus. Ce n’était pas la première fois qu’elle devait s’improviser une entrée. Lorsqu’elle arriva à la branche la plus proche de la fenêtre, Claire enleva son sac pour le jeter entre les morceaux de vitre cassée.

Au sol, elle entendit son amie l’appeler à nouveau.

« Ne fais pas ça Claire, tu vas le regretter!. »

Après trois respirations, Claire ignora les avertissements de Cécile, recula de quelques pas pour se donner un élan et lâcha la branche, pour ensuite sauter par la fenêtre à moitié brisée.

Elle réalisa son erreur lorsque son corps passa en entier à l’intérieur du bâtiment.

De l’autre côté, des centaines de patients vêtus de robes blanches l’attendaient.

Mais qu’est-ce que...

Alors qu’elle plongeait à travers cette foule d’un blanc immaculé, une douleur la frappa à la tête. Sa dernière image consciente fut le poids de ces regards figés dans le temps qui l’observaient avec une expression de pitié.

Claire courait sur les sentiers entourant sa demeure. L’air froid de la mer fouettait son visage et emplissait ses poumons d’une énergie qui lui avait manqué et dont elle avait besoin.

Elle était libre, ou du moins, elle l’était jusqu’à ce qu’on la retrouve.

Pour la première fois depuis des mois, la lune l’accueillait sans ce filtre de verre auquel elle s’était habituée. Sa mère la tuerait au matin, mais ça lui était égal. Son seul regret était d’avoir volontairement évité d’inviter Cécile.

Depuis quelque temps, la relation qu’elle entretenait avec son amie s’était détériorée. Cécile avait changé. Son humeur joyeuse s’était transformée pour faire place à une monotonie ennuyeuse. Elle refusait aussi de lui dire ce qui n’allait pas. Des mois de silence angoissant et d’éclats de colère qu’elle n’avait pas méritée. Et ce, même si les crises de Cécile étaient minimes en comparaison des siennes.

Ce soir, Claire avait décidé de prendre une pause. Elle aimait son amie, mais elle avait besoin de se changer les idées. De toute façon, elle se rassura en se disant que Cécile aurait sûrement refusé de la suivre.

Elle ne le savait pas encore, mais cette pause allait s’éterniser, contre sa volonté.

Plus tard, elle réaliserait, en pleurant, que ce sentiment de liberté ne serait jamais assez grand pour lui faire oublier la seule personne qui avait essayé de la comprendre.

Et il ne resterait de cette soirée que le regret de n’avoir pu partager ce dernier moment avec sa meilleure amie.

Claire fut réveillée par une douleur aiguë qui s’étendait de son front à la base de son crâne. En gémissant, elle passa une main sur sa nuque et tâta ce qui semblait être une plaie. Sur ses doigts, elle sentit couler un liquide chaud et rouge.

« Merde. »

Grommela Claire.

En se relevant, la jeune femme remarqua qu’elle était tombée tête première sur un morceau de tuile qui traînait

En titubant, Claire fit quelques pas pour observer le bâtiment dans lequel elle avait atterri.

Le vieil asile était éclairé par la lumière du soleil. Claire remarqua toutefois que l’éclat du jour était à présent teinté des nuances orange et rouges du crépuscule.

Combien de temps est-ce que je suis restée évanouie. ?

Une onde de douleur choisit ce moment pour lui traverser la tête. Claire en gémit. Lorsqu’elle se ressaisit, la jeune femme constata que son sac manquait à l’appel. Il lui fallait le retrouver, puisqu’elle l’utilisait pour transporter sa trousse de premiers soins, ainsi que son portable.

Tandis qu’elle cherchait, Claire remarqua qu’autour d’elle gisaient des débris d’un autre âge, allant de quelques morceaux de la toiture du bâtiment qui avaient rendu l’âme à de vieilles chaises roulantes, ainsi que du matériel médical. Mais au milieu de ce bazar de déchets, Claire ne vit aucune trace de son sac.

Pourtant, je l’ai jeté juste avant de sauter par la fenêtre. Il ne devrait pas être loin.

Même après avoir retourné débris après débris, il restait introuvable. Claire se résolut donc à abandonner son sac. La douleur qu’elle ressentait à la tête lui indiquait qu’elle était dans une situation dangereuse et qu’il lui fallait trouver de l’aide médicale au plus vite. Sans soins professionnels, ce type de blessure pouvait engendrer des complications. Elle devait quitter cet asile.

D’après ses souvenirs, la porte d’entrée se trouvait près de la fenêtre par laquelle elle s’était introduite. Claire longea donc l’étroit corridor qui menait vers la sortie.

Dans sa marche, tandis qu’elle passait devant toutes ces salles dont les portes étaient fermées, elle se sentit observée. Derrière ces portes, Claire s’imaginait ces patients qu’elle avait hallucinés dans sa chute. L’image de ces centaines de regards la fit paniquer et c’est avec le souffle court qu’elle continua son chemin.

L’intérieur de l’asile était aussi immaculé que sa façade extérieure. Les murs toujours vierges de graffitis et de signatures.

Il n’y a que deux possibilités :

Ou bien le bâtiment n’a été visité par aucun explorateur urbain, ou bien il est protégé.

Mais protégé par qui. ?

« Tu l’as dit toi-même, les gens ont peur des fantômes. »

Derrière elle, Cécile la suivait. Son amie observait les lieux avec lassitude, comme si l’endroit ne lui était pas étranger.

« Est-ce que ta tête va mieux. ? »

Claire ne lui répondit pas. À quoi bon entretenir une conversation avec une hallucination.

À mesure qu’elle avançait, Claire remarqua à nouveau les salles fermées longeant le corridor. La jeune femme ne pouvait qu’imaginer les trésors du passé qui s’y cachaient.

Je reviendrai plus tard pour explorer cet endroit,

Se promit-elle.

Et, comme si une force supérieure avait répondu à sa curiosité, Claire remarqua que plus loin, Cécile faisait face à une pièce dont la porte avait été défoncée. Hypnotisée par les possibilités que renfermait cet endroit, Claire alla s’installer aux côtés de son amie décédée.

L’intérieur de la chambre était tapissé d’un blanc sali de moisissures verdâtres. Au sol, Claire remarqua les vestiges d’un liquide noir qui avait incrusté le plancher de marbre.

Ça ressemble à du sang. Qu’est-ce qui s’est passé ici. ?

Cécile la fit sursauter lorsqu’elle entra dans la chambre. D’un pas lent, elle alla se placer au milieu de la tache noire. Ses pieds nus restèrent toutefois immaculés malgré les saletés qui traînaient au sol, prouvant encore une fois, que sa présence n’était pas réelle. En lui souriant, son amie tendit ses bras à Claire. Sa peau blanche était souillée par deux minces et profondes cicatrices rouges.

« Regarde, c’est ma chambre. »

Le cœur de Claire s’arrêta lorsqu’elle remarqua qu’une lame de couteau était à présent visible sur le plancher de marbre.

Pas ça. Tout, mais pas ça.

La jeune femme fut prise par une vague de nausée. Cette impression de dégoût lui était familière.

Haletante, elle quitta la chambre.

Peu importe les mystères qu’il pouvait renfermer, cet endroit la répugnait et Claire se promit de ne plus y revenir.

Si j’arrive à partir.

Au pas de course, la jeune femme fit le tour des corridors.

Lorsqu’elle atteignit l’entrée du bâtiment, celle-ci réalisa avec horreur la raison pour laquelle il lui avait été impossible d’ouvrir la porte de l’extérieur. Devant elle se trouvait une barricade. Quelqu’un avait utilisé tous les meubles de l’asile et les avait empilés les uns par-dessus les autres pour bloquer l’entrée.

« Merde. ! »

S’écria Claire en réalisant que quitter ce bâtiment lui serait plus ardu qu’elle ne l’avait imaginé. Et avec cette blessure à la tête qui ne faisait qu’empirer, chaque minute comptait.

Restons calmes. Il doit bien y avoir une sortie quelque part.

La fenêtre qu’elle avait utilisée pour entrer n’était pas une option, puisqu’elle était trop haute. Claire savait aussi que même si elle trouvait une table ou une chaise pour atteindre cette fenêtre, il lui faudrait sauter pour attraper la branche de l’arbre qu’elle avait escaladé. L’idée de se jeter dans le vide une deuxième fois était suicidaire dans sa condition. Il lui restait toutefois cette option si elle était en désespoir de cause.

Les sorties de secours. !

Pensa-t-elle.

Évidemment, l’asile devait en posséder. Il lui suffisait de les trouver. D’un pas décidé, la jeune femme se remit en route.

Claire se massa la tête. Pour l’instant, mis à part cette douleur qui lui assurait une grosse bosse et quelques pansements, elle ne présentait aucun signe de commotion.

Une chance, sinon je serais sûrement morte ici et personne ne m’aurait retrouvée, parce que personne ne sait que je suis là.

Pour ses prochaines escapades, Claire se promit de prévenir quelqu’un.

Enfin, celle-ci atteignit l’unique corridor qui menait à l’aile ouest de l’asile.

À partir de l’extérieur, Claire en avait déduit que le bâtiment était fabriqué en carré sur plusieurs étages.

La jeune femme s’empressa donc de se diriger vers ce corridor qui lui ferait faire le tour de l’endroit et lui permettrait de repérer les sorties de secours.

Tandis qu’elle marchait, une image vint la hanter. Encore une fois, elle revit ces patients qui l’avaient accueillie.

Et derrière elle, Claire entendit des bruits de pas suivant les siens.

Ce doit être Cécile.

Pensa-t-elle, rassurée.

C’est lorsqu’elle eut l’impression que ces pas se multiplièrent qu’un frisson la parcourut. Et Claire se surprit à souhaiter cette amie qu’elle imaginait et qui était sa seule présence familière.

Ses poursuivants la suivaient toujours à la trace et leur rythme se fit bientôt plus rapide. Claire ne se questionna pas sur leur existence, elle évita aussi de se retourner pour leur faire face et tenta plutôt de les semer au pas de course.

Après plusieurs minutes à fuir ces présences invisibles qui la rendaient folle, la jeune femme eut la pensée horrible qu’il lui était maintenant impossible de revenir en arrière et que ce chemin se terminerait par sa mort.

Ou pire encore.

Et lorsqu’elle perdrait espoir, Claire en était sûre, toutes ces portes s’ouvriraient et chacune lui révélerait ces gens qui l’attendaient pour dévorer son esprit malade.

Ou pour m’accueillir.

« Ça suffit!. »

S’exclama Claire. Ses cris ramenèrent l’asile au silence. Ses poursuivants n’étaient plus.

Sa voix eut un effet apaisant. Peu importe ce qui pouvait lui arriver, elle pouvait encore crier et se débattre.

Quoi qu’il arrive, je ne me laisserai pas faire.

Elle était toujours cette combattante que sa mère n’avait jamais réussi à dompter.

Lorsque la jeune femme se remit de ses émotions, elle en était à la moitié du chemin et faisait face à une autre porte ouverte.

À l’intérieur, Claire fut surprise de constater qu’un homme vêtu d’une blouse était assis sur l’unique lit de la chambre. L’étranger lui tourner le dos et, à moitié caché par l’obscurité de la pièce, il semblait presque se confondre avec la tapisserie moisie.

Est-ce que cet homme est réel. ?

Depuis le retour de Cécile, Claire éprouvait des difficultés à faire la distinction entre les rêves et la réalité. L’hallucination de son amie décédée était devenue une circonstance commune dans sa vie et peut-être que cet étranger appartenait également à son imagination.

Parce que les fantômes n’existent pas.

« Pardon. »

Murmura-t-elle à l’étranger qui ne lui répondit pas.

Peut-être n’avait-elle pas parlé assez fort. ?

Claire répéta d’une voix plus ferme :

« Pardon, monsieur. ? »

L’homme demeura silencieux et la jeune femme savait ce qu’elle devait faire pour lui solliciter une réponse.

N’y va pas, c’est peut-être un drogué ou un fou. Passe ton chemin Claire. Pour une fois dans ta vie, passe ton chemin.

Claire ignora toutes ces voix qui lui criaient de s’éloigner. Elles ne les avaient jamais écoutées.

Pas après pas, Claire finit par se retrouver face à celui qui devait être le seul être humain de l’asile avec elle.

Peut-être que ce dernier pourrait lui indiquer l’emplacement des sorties de secours. ?

« Monsieur. ? »

Lui demanda-t-elle à nouveau et cette fois, Claire osa poser une main sur son épaule.

Lorsqu’elle le toucha, celle-ci se sentit électrifiée et son mal de tête en fut aggravé. Sous le poids de la douleur, ses genoux la lâchèrent et Claire se retrouva au sol, à la merci de l’homme. C’est à partir de cet angle qu’elle vit son visage en entier ou du moins, celui qui n’était pas caché par le masque médical qu’il portait. Et le scalpel que l’étranger tentait de cacher sous sa blouse blanche ne manqua pas à l’attention de la jeune femme.

Tandis que son corps refusait de lui obéir et que la douleur s’étendait, l’homme se leva et Claire comprit avec horreur que le masque ne cachait pas son visage, il faisait partie de lui. Le masque chirurgical était décoré de veines bleutées et le blanc artificiel se mélangeait à la peau pâle de la chose, comme si le visage de l’homme était en voie d’absorber complètement le masque qu’il portait.

« Claire. »

L’appela l’homme, ou plutôt la chose, d’un ton doux qui se voulait apaisant.

« Claire, calme-toi. »

Fit une deuxième voix. En tournant la tête, Claire vit qu’une autre créature identique à la première bloquait l’entrée de la chambre. Derrière elle, celle-ci s’aperçut avec horreur qu’un troisième monstre suivait la deuxième chose.

Claire se retrouva bientôt entourée par ces créatures dont les visages avaient été remplacés par des masques chirurgicaux.

Chaque monstre portait sur lui un scalpel et chaque lame pointait vers la jeune femme.

Incapable de rationaliser sa situation devant la vision de ces monstres et paralysée par la douleur qu’elle ressentait à la tête, Claire ne put qu’observer ce spectacle horrifiant.

Les trois voix faisaient cacophonie dans la salle en répétant sans cesse :

« Claire, calme-toi. »

Malgré leurs apparences et leurs intentions des êtres qui l’entouraient, cette scène était on ne peut plus sordide par le sentiment de déjà vu qu’elle amenait chez Claire.

Et les monstres tournaient autour d’elle en agitant leurs scalpels, tandis que la vision de la jeune femme faiblissait et que son mal de tête saturait ses pensées.

Elle perdit connaissance entourée par ces masques vivants et par la sensation froide d’une lame sur son front.

Claire ne se souvenait plus de la dernière fois que sa mère l’avait laissée sortir.

Elle avait huit ans et le monde n’attendait qu’elle pour être exploré, mais elle était punie. Tandis que les semaines avançaient, Claire avait oublié la faute qu’elle avait commise pour qu’on lui refuse l’extérieur pendant aussi longtemps. Il lui semblait que ses moindres faits et gestes lui valaient les pires punitions.

Depuis son arrivée chez maman, Claire n’était que cris et violence. Qui pouvait lui en vouloir, puisqu’on lui refusait la liberté. Parfois, il lui arrivait de s’échapper et toujours mère et les autres la ramenaient de force dans cette prison qu’elle habitait.

Pendant sa punition, aucun enfant ne pouvait venir la voir. La seule personne à qui sa mère permettait les visites, c’était sa meilleure amie, Cécile.

La gentille et douce Cécile. Celle que tout le monde aimait. Il arrivait à Claire de détester sa meilleure amie. Elle-même était incapable d’écouter les autres et de rester en place. Dans sa tête, les mots tournaient et les idées bougeaient en permanence. Claire devait l’admettre après coup, ce n'étaient pas les meilleurs choix qu’elle auraient pu faire. C’était plus fort qu’elle, Claire devait bouger et surtout explorer.

Il y avait tellement de choses à voir, à entendre, à sentir, à toucher et Claire voulait tout à la fois. Dans son grand château blanc, il lui était toutefois impossible de réaliser ses ambitions.

Une autre raison pour laquelle elle détestait sa meilleure amie était que Cécile acceptait sans contrainte les règles de sa mère et du château. Mais Claire avait lu assez d’histoires pour savoir que derrière chaque forteresse se trouve une forêt enchantée. Si seulement elle pouvait trouver cette forêt avant qu’elle ne se fasse attraper et ramener de force à la maison.

Chaque fois, Cécile la retrouvait, en larmes, dans sa chambre. Malgré leurs différences, Cécile la connaissait et sans qu’elle ait besoin de le lui demander, son amie venait s’asseoir à ses côtés. Durant ces moments, tandis que Claire pleurait, Cécile chantait.

Lorsqu’elle serait plus vieille et que les rôles seraient inversés, Claire serait incapable d’aller rejoindre son amie, ni même de trouver les mots pour la consoler.

Et elle s’en voudrait éternellement pour tous ces moments qu’elle avait évités.

Une douce mélodie emplissait ses oreilles d’un bonheur que Claire n’avait pas ressenti depuis longtemps. Cette musique la berçait comme elle l’avait si souvent bercée dans le passée.

« Oh, tu es réveillée?. »

Lui demanda Cécile qui chantonnait, assise à ses côtés.

Claire l’ignora. L’image réconfortante de son amie était un cliché sorti de son inconscient. Si elle lui donnait un semblant de réalité, la jeune femme savait qu’elle ne pourrait plus revenir en arrière. Cette personne qu’elle imaginait, qui parlait, ressemblait et chantait comme sa défunte amie, si elle se laissait tenter par cette douce illusion, elle serait perdue. Parce que si Claire se permettait de serrer dans ses bras cette amie qu’elle imaginait, plus jamais elle ne voudrait la quitter.

Pourtant, avec ce mal de tête qui la torturait, perdu dans cet asile abandonné, seule, Claire était tentée de fermer les yeux et de se laisser endormir par le souvenir de Cécile.

La jeune femme n’entretenu pas cette idée plus longtemps et se releva.

L’image de tous ces docteurs, ou plutôt, de ces monstres, qu’elle avait vus avant de perdre connaissance la frappa. Avec une respiration haletante, elle inspecta la pièce dans laquelle elle se trouvait, effrayée à l’idée que les choses qui l’avaient attaquée soient encore présentes.

La chambre était vide. Claire eut un soupir de soulagement.

Au milieu de la salle, son regard tomba toutefois sur ce qui semblait être un masque chirurgical tâché de marques brunes dont Claire devinait la provenance.

Un sentiment de nausée l’envahit et domina toute peur qu’elle aurait pu ressentir.

Pourquoi ce masque et ces monstres lui semblaient-ils si familiers?.

Alors qu’une idée commençait à germer en elle, Claire fut interrompue.

« Comment va ta tête?. »

Lui demanda Cécile.

Claire grommela. Elle était sur le point de se souvenir de quelque chose d’important, d’une partie de sa mémoire qu’elle avait oubliée.

« Peux-tu arrêter de me parler et disparaître à la fin!. »

Cécile observa sa colère sans réagir, comme si elle ne comprenait pas qu’elle était morte, qu’elle n’était pas réelle et que sa présence n’était pas désirée.

Pas de cette façon. Pas comme ça.

« Mais si je disparais, tu seras seule. »

Claire éclata d’un rire malin, avant d’exploser.

« Tu n’as pas le droit de me dire ça!. »

Des larmes se mirent à couler sur les joues de la jeune femme, tandis que l’écho de ses cris résonnait à travers le silence de l’asile.

« Tu m’as déjà abandonné, espèce d’idiote!. Je suis seule. Tu n’es pas là, parce que tu es partie, parce que tu m’as quittée, alors fait le une deuxième fois et disparaît. »

Claire fondit en rage et en larmes, tandis que son amie lui murmurait, en plaçant son index devant sa bouche.

« Tu dois arrêter de crier, sinon maman va se fâcher. »

À travers ses pleurs et les paroles de Cécile, Claire entendit une paire de pas se diriger vers la pièce dans laquelle elle se trouvait. La jeune femme aurait dû être soulagée de savoir qu’il y avait âme qui vivent dans ce bâtiment, qu’elle allait pouvoir s’en sortir et demander son chemin à quelqu’un. Peut-être même que ce quelqu’un aurait un téléphone qui lui permettrait de contacter les urgences.

« C’est trop tard, ils arrivent. »

Les claquements des souliers sur le plancher se multiplièrent et Claire savait qu’ils se dirigeaient vers elle. Leur cadence, leur présence, tout lui portait à avoir espoir et pourtant, ses membres se mirent à trembler.

Je dois me cacher!.

Pensa-t-elle, le souffle court.

Au fond de la chambre Claire repéra un placard et s’y précipita.

L’intérieur de cet espace cloîtré empestait la moisissure. Haletante, elle se recroquevilla dans un coin qui lui permettrait de rester cacher dans l’obscurité si jamais la porte du placard s’ouvrait. À l’extérieur, elle entendit les intrus pénétrer dans la chambre.

Le silence tomba.

Sa réaction était illogique. Il lui fallait trouver de l’aide pour quitter cet endroit et voilà qu’elle se cachait au moindre signe de vie. Elle retint un cri alors que son mal de tête décida de se manifester, plus fort que jamais. Il en fallut de peu pour qu’elle s’effondre sur le sol sale du placard, au milieu de tous les insectes rampants et grouillants qui en avaient fait leur maison.

Un murmure interrompit sa douleur pour lui glacer le sang.

« Claire, où es - tu mon trésor?. »

La voix était douce et familière. Elle se voulait bienveillante ou du moins, c’est ce qu’elle laissait paraître. Un appel délicat qui s’adressait à Claire et qui n’avait pour mission que de la faire sortir de sa cachette. Et cette voix, à qui appartenait-elle?.

Claire eut alors le souvenir d’une prison qu’elle avait échappée et d’une présence toxique. L’image de sa mère la fit trembler.

Non, je suis partie, je l’ai quittée. Elle ne peut plus m’atteindre.

« Ma belle, c’est l’heure de tes médicaments. Tu dois les prendre. Tu sais ce que tu deviens, quand tu ne prends pas tes médicaments. Aller, fais confiance à maman. Je veux ce qu’il y a de mieux pour toi. »

Le son de plusieurs paires de souliers qui frappait le sol indiquait que même si une voix l’appelait, d’autres l’attendaient. Et ces gens n’avaient qu’une seule fonction, la trouver et lui faire ingurgiter ces pilules qui la déroberaient de sa réalité. Parce qu’il était inutile que sa mère l’affronte seule.

« Cécile, ma chérie, sais-tu où elle se cache?. »

Claire dut placer ses mains devant sa bouche pour retenir un hurlement. Elle savait ce qui allait arriver. Déjà, elle imaginait Cécile pointer timidement à maman le placard dans lequel elle s’était réfugiée.

Elle n’est pas là, elle est morte, elle ne peut plus me trahir. Mais maman non plus ne devrait pas être ici.

Tandis que les pas se rapprochaient doucement de sa cachette, Claire réalisa qu’il n’était peut-être pas si étrange que deux illusions puissent interagir ensemble.

Mais pouvaient-ils la blesser?.

La porte du placard claqua.

Après quelques secondes, Claire réalisa qu’elle n’était plus à l’abri dans l’obscurité, mais qu’elle avait fermé ses yeux. Lorsqu’elle les ouvrit, elle fut accueillie par une chambre vide.

Le cœur de la jeune femme battait la chamade et elle se força de le calmer, de rationaliser ses pensées. Elle était seule dans cette vieille bâtisse lugubre et venait de recevoir une blessure à la tête. Il était normal qu’elle en vienne à imaginer.

La jeune femme se sentit stupide de s’être laissé affecter par ces souvenirs d’une vie passée qui n’était plus la sienne.

Un léger grincement la ramena à l’irréalité de sa situation. Devant la porte de la chambre qu’elle avait laissée ouverte, Claire distingua une civière. L’objet la narguait et trahissait ses efforts de retrouver son calme. En tremblant, la jeune femme se releva et s’en approcha, parce que c’était la seule chose à faire.

« Les fantômes n’existent pas ».

Lorsqu’elle fut à quelques pas de la civière, Claire remarqua que son matelas avait été dévoré par la moisissure et que des cadavres de cloportes et de cafards gisaient sur sa surface. Plus bas, le squelette de métal était rouillé et menaçait de s’effondrer. Seules ses roues semblaient opérationnelles.

C’est ce qui lui a permis de rouler jusqu’ici.

Claire se ressaisit de la terreur que lui inspirait cet objet et tendit son bras pour le pousser hors de son chemin.

Au moment où sa main allait entamer un contact, elle sentit qu’on lui agrippait le bras. Claire crut d’abord que cette sensation allait disparaître, comme lorsqu’il lui arrivait d’avoir l’impression que quelqu’un la touchait, alors qu’il n’y avait personne. C’est seulement lorsque ceux qui l’empoignaient la soulevèrent et se préparèrent à la placer de force, sur la civière, que la jeune femme réalisa qu’elle n’imaginait pas ce qui la retenait.

En se débattant, Claire tourna frénétiquement la tête des deux côtés, afin de voir à qui elle avait affaire, mais elle était seule. Ces agresseurs étaient pourtant réels par leur geste et elle put bientôt voir des marques de mains aux endroits où ils l’empoignaient. La jeune femme hurla lorsqu’ils réussirent à la couché sur le matelas moisi de la civière.

« Laissez-moi partir. Lâchez - moi. »

Ses plaintes furent ignorer et des attaches de cuir se mirent à flotter et attachèrent ses bras, ses poignets, ses jambes et ses chevilles.

Dès que les roues de la civière se mirent à rouler sur le plancher, Claire savait où ses agresseurs comptaient l’amener. Une peur plus grande que celle des monstres et des fantômes, accompagnée par son mal de tête, l’empêchait toutefois de se concentrer pour se sortir de cette situation.

Je sais ce qui se passe.

Pensa la jeune femme, dont la respiration devenait frénétique.

Je sais où ils m’emmènent.

Pourtant, elle était incapable de se souvenir de la source de ce sentiment qui prenait, petit à petit, possession de son corps et de son esprit.

À mesure qu’elle avançait, le décor délabré de l'asile abandonné se confondait en plusieurs éclats de lumière et à un paysage plus récent. Les fantômes invisibles qui la transportaient furent remplacés par des silhouettes d’infirmiers. Cette vision était plus effrayante que la précédente.

Parce que les fantômes ne peuvent pas me faire de mal.

Claire se mit à hurler et comme dans un cauchemar, personne ne porta attention à ses cris. Elle obtenue toutefois du réconfort de la personne qui la terrifiait le plus. Une main de femme se posa sur son épaule.

« Ça va aller ma chérie. C’est pour ton bien. Après ça, tout ira mieux pour toi et pour les autres. Après ce qu’on va te faire, tu ne voudras plus jamais t’enfuir. »

La jeune femme tenta de se réveiller de ce cauchemar. Elle repensa à tous ces endroits qu’elle avait explorés et réalisa avec effroi que ces derniers lui semblaient plus distants que l’illusion qu’elle vivait maintenant. Même le souvenir de sa mère se superposait à celui de cette femme dont le masque chirurgical semblait être collé à son visage. Ce masque qu’elle n’enlevait jamais, même lorsqu’elle devait interagir avec ceux et celles qu’elle appelait ses enfants.

Malgré ses cris et ses plaintes, la civière continuait sa course frénétique dans l’asile.

Lorsqu’elle passa devant l’une des chambres, Claire aperçut l’image d’une Cécile, noyée dans la flaque de son propre sang. Elle hurla et tenta de former des mots, parce que son amie mourait à nouveau et que peut-être qu’elle pouvait la sauver cette fois, mais rien de cohérent ne parvenait à sortir de sa bouche.

À travers son désespoir et l’intensité de ses souvenirs, Claire réalisa que cette réalité était peut-être la sienne.

Lorsqu’ils arrivèrent enfin à la table d’opération, la jeune femme savait ce qui l’attendait et ce mal de tête qui l’avait suivi depuis son entrée à l'asile lui laissait présager qu’elle avait peut-être déjà vécu cette scène.

Une fois que le masque anesthésiant fut porté à son visage, avant de s’endormir pour ne plus jamais se réveiller, Claire souhaita pouvoir explorer une dernière fois ce monde qui lui avait été refusé.

Pour cette expédition, elle traînerait Cécile de force avec elle.

Dans les dernières lueurs de conscience d’une personne sur le point de s’endormir, la jeune femme réalisa que son vœu avait déjà été exaucé.

L’image d’un scalpel sur sa nuque fut sa dernière vision, accentuée par une douleur familière.

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Montana
12/03/2025 à 20:07

Merci beaucoup Happiness, je sais qu'il es très long, c'est une première et surement pas la dernière. Tu as pris le temps de le lire et de l'avoir apprécier, je t'en remercie 😉 .

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Ancien membre
20/03/2025 à 20:50

Citation de Montana #529055

salut enchanté alors rien à voir peut être mais respect à toi c'est le poste le plus impressionnant que j'ai lu et tellement dynamique et passionnant tu y donne une dimension à la fois de mouvement et de perspectives pour moi j ai une expédition qui a mal tourné oui et non j ai vécu 6 ans en Guyane française j'étais sur un kayak avec mon amour et nous voilà partie simplement en excursions cette personne avec qui je vivais m assurer j ai déjà fais du kayak sur des fleuve plus difficile que celui là ne t en fait pas j assure et tu peut deviner la suite bah rien à voir avec son discours alors catastrophe mais comme je suis encore en vie et cette personne aussi cela n'a pas viré à la catastrophe mais juste à la vérité de qui cette personne étais vraiment

avatar contributeur de Montana
Montana
21/03/2025 à 20:16

Citation de Dany Jolie #529618

Enchanté aussi, merci en tout les cas de ton commentaire, ça fait toujours plaisir un message pour mon histoire, qui sois dit en passant ta plu.

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