Étant entre 25 000 et 45 000 en France selon les estimations, ces personnes expriment toutes un besoin de reconnaissance, que la loi ne leur permet que difficilement.
Leur combat pose des questions de droit fondamentales, qui provoquent des débats passionnés, comme on l'a vu il y a deux semaines, lorsque le Tribunal de Tours a reconnu pour la première fois en France l'existence d'un sexe « neutre », ni masculin ni féminin.
Pascal Dervieux et Lionel Thompson, les présentateurs de l'émission le disent : « C'est à la façon dont les minorités, quelles qu'elles soient, sont traitées que l'on peut juger une démocratie. » Reportage :
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Si vous ne voyez pas le lecteur, vous pouvez vous rendre à cette adresse : Interception - Mauvais genre - 01/11/2015
Flora (Florent) a toujours été mal dans son corps, ce dès le plus jeune âge. N'arrivant pas à définir ce malaise, elle passe une enfance inquiète dans un corps d'homme, avec quelques moments de bonheur. Elle se marie avec une femme, pensant que ce trouble s'arrangera, mais cela ne s'arrange pas. Elle a vécu 55 années ainsi, dans un corps et une identité qui n'étaient pas les siennes. Quand elle part à la retraite, elle décide de changer de vie et d'accepter son genre, se brouillant au passage avec sa femme et ses deux enfants, qui ne comprennent pas cette transformation.
Son amie, Michèle (Michel) appelle les personnes transidentitaires tendrement « la famille des biscornus ». Elle n'a pas le même parcours que Flora. Pour elle, cela s'est révélé plus tard, à 45 ans, après une vie heureuse avec femme et enfants. Ne comprenant pas trop ce qu'il lui arrive, elle décide d'accepter, d'aller droit devant elle, et se présente à son travail un jour habillée en femme. Elle constate avec surprise que ses proches et son entourage prennent bien la chose. En revanche, comme Flora, sa famille s'éloigne complètement, ne comprenant pas.
Le Docteur Cordier, Hôpital Foch à Suresnes, est responsable d'une unité SOFECT (Société Française d'Études et de prise en Charge du Transsexualisme). Il y a six unités en France, regroupant endocrinologues, psychologues et chirurgiens, et sont parfois décriées par la communauté trans [voir les commentaires]. Ces unités ont été mises en place pour les personnes souhaitant entamer un « parcours de transition », remboursé par la Sécurité Sociale. Le docteur Cordier précise que la transidentité est un « mystère », il précise toutefois que ce n'est en aucun cas un « trouble psychiatrique ».
Condamnée en 1992 par la CEDH (Cour Européenne des Droits de l'Homme), la France est depuis sommée d'examiner les procédures de changement de sexe. Pourtant, dans la législation française, cela demeure un véritable parcours du combattant : il faut passer devant un juge, apporter des preuves, une attestation psychiatrique, montrer que son changement de sexe est irréversible, ce qui, selon certaines associations, est considéré comme une obligation de stérilisation. De plus, certains tribunaux demandent des examens complémentaires humiliants comme par exemple des rapports médicaux sur la profondeur, ou la longueur des organes génitaux après opération...
Michèle a subi une opération de réassignation, « moins douloureuse qu'une rage de dents ». Pourtant, la procédure de changement de genre sur sa carte d'identité a pris deux ans supplémentaires. Du début des symptômes jusqu'à l'obtention des papiers d'identité, sa transition a duré neuf ans. « Neuf ans où tout autour s'écroule. [...] C'est sûr que cela ne peut pas se faire en huit jours, mais neuf ans, c'est beaucoup trop long. »
Timéo, qui a procédé à un réassignement inverse, a rusé : il a choisi le tribunal devant lequel il devait se présenter, afin d'obtenir une chance plus favorable dans la décision. Ses démarches n'ont duré qu'un an, même si cela lui a coûté, comme à beaucoup, quelques milliers d'euros en frais d'avocat pour la procédure. Comme Michèle, il a dû produire devant le juge un ensemble de preuves, des attestations d'endocrinologues, de médecins, de psychiatres, des comptes-rendus d'opération. Sa voix est teintée de colère : « En vertu de quoi une personne qui ne m'a jamais rencontré puisse me voir pendant une dizaine de minutes et estimer que j'ai le droit d'être l'homme que je revendique être ? Cette personne prend une décision qui impacte toute votre vie. »
La CNCDH (Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme) a rendu un rapport en 2013 sur le changement d'État Civil des personnes transidentitaires. Cet avis présente l'insécurité juridique de ces personnes : comme il n'y a pas de loi, on s'appuie sur la jurisprudence, et tous les tribunaux ne rendent pas le même jugement. La CNCDH préconise le vote d'une loi, qui démédicaliserait la procédure, afin qu'il n'y ait plus d'expertises intrusives et humiliantes pour la personne. Le deuxième pan de la loi devrait déjudiciariser partiellement la procédure : une personne désirant changer de genre passerait d'abord devant un officier d'État Civil afin d'effectuer une déclaration, qui devra simplement être homologuée par un juge.
Philippe Régnier, professeur de Droit et spécialiste des questions de genre, dénonce le « besoin de critères » des parlementaires, quand il s'agit de voter les lois. En l'absence de critères médicaux ou juridiques, ces derniers s'attardent sur les critères sociaux, « le comportement social » de la personne.
« Qu'est-ce que c'est, aujourd'hui, le comportement social d'une femme ? Celui d'un homme ? Ces critères qui ne sont pas légalement précisés sont inapplicables. [...] Les parlementaires ne veulent pas abandonner la logique des critères, parce que c'est une logique de contrôle. [...] Dans une société qui cherche à lutter contre les stérotypes de genre, c'est comme la main droite qui ignore ce que fait la main gauche. »
Erwann Binet, député socialiste de l'Isère et déjà rapporteur, en 2013, du projet de loi pour le mariage pour tous, a récemment déposé avec Pascale Crozon une proposition de loi pour encadrer le changement d'État Civil pour les personnes transgenres. « Il n'y a pas une ligne de texte dans le Code Civil qui actuellement concerne le changement de sexe, d'État Civil. [...] Aujourd'hui et depuis 1992, les juges sont en face d'eux-mêmes, créant le droit. [...] Le législateur doit prendre ses responsabilités. »
Ce projet de loi, qui même s'il va dans le bon sens, n'est pas parfait. Il donnerait la possibilité à une personne désirant une réassignation sexuelle de prouver, devant le Procureur de la République, qu'elle est « socialement » désormais dans un autre genre, à travers son propre témoignage et ceux de ses proches. Ce serait ainsi la société, et non plus le tribunal qui regarderait cette personne, en démédicalisant et déjudiciarisant de manière effective la procédure. Le Procureur aurait ensuite à statuer, dans un délai de trois mois suivant l'audition, si la personne peut être réassignée.
Les associations transidentitaires ont déjà critiqué ce projet de loi, jugeant qu'elle « ne va pas assez loin ». Erwann Binet répond qu'il « aimerait que nous puissions aboutir un jour à un simple changement d'État Civil par déclaration. [...] Ce n'est hélas pas applicable dans notre situation juridique. »
Il poursuit : « Ma pensée personnelle, c'est que je ne comprends même pas pourquoi la mention du sexe figure à l'État Civil. Il ne devrait pas y figurer et il n'est pas – ou très peu – impliqué dans la législation. [...] Notre objectif, c'est de faire une loi qui peut aboutir. »
Merci à Laera, pour avoir proposé ce documentaire à l'écoute !
Illustration : Image du film Tomboy, de Céline Sciamma (2011).
Crédits de l'émission :
France Inter - Reportage de Sandrine Etoa-Andegue. Prise de son : Philippe Etienne. Mixage : Delphine Baudet. / Réalisation d’Anne Lhioreau, assistée de Stéphane Cosme et de Zohra Bensmaïli. / Invité : Erwann Binet, député socialiste de l’Isère, auteur avec Pascale Crozon, députée socialiste du Rhône, d’une proposition de loi sur le changement d’identité pour les personnes transidentitaires.
Étant entre 25 000 et 45 000 en France selon les estimations, ces personnes expriment toutes un besoin de reconnaissance, que la loi ne leur permet que difficilement.
Leur combat pose des questions de droit fondamentales, qui provoquent des débats passionnés, comme on l'a vu il y a deux semaines, lorsque le Tribunal de Tours a reconnu pour la première fois en France l'existence d'un sexe « neutre », ni masculin ni féminin.
Pascal Dervieux et Lionel Thompson, les présentateurs de l'émission le disent : « C'est à la façon dont les minorités, quelles qu'elles soient, sont traitées que l'on peut juger une démocratie. » Reportage :
<iframe src="http://www.franceinter.fr/player/export-reecouter?content=1177967" width="481" height="137"></iframe>
Si vous ne voyez pas le lecteur, vous pouvez vous rendre à cette adresse : Interception - Mauvais genre - 01/11/2015
Flora (Florent) a toujours été mal dans son corps, ce dès le plus jeune âge. N'arrivant pas à définir ce malaise, elle passe une enfance inquiète dans un corps d'homme, avec quelques moments de bonheur. Elle se marie avec une femme, pensant que ce trouble s'arrangera, mais cela ne s'arrange pas. Elle a vécu 55 années ainsi, dans un corps et une identité qui n'étaient pas les siennes. Quand elle part à la retraite, elle décide de changer de vie et d'accepter son genre, se brouillant au passage avec sa femme et ses deux enfants, qui ne comprennent pas cette transformation.
Son amie, Michèle (Michel) appelle les personnes transidentitaires tendrement « la famille des biscornus ». Elle n'a pas le même parcours que Flora. Pour elle, cela s'est révélé plus tard, à 45 ans, après une vie heureuse avec femme et enfants. Ne comprenant pas trop ce qu'il lui arrive, elle décide d'accepter, d'aller droit devant elle, et se présente à son travail un jour habillée en femme. Elle constate avec surprise que ses proches et son entourage prennent bien la chose. En revanche, comme Flora, sa famille s'éloigne complètement, ne comprenant pas.
Le Docteur Cordier, Hôpital Foch à Suresnes, est responsable d'une unité SOFECT (Société Française d'Études et de prise en Charge du Transsexualisme). Il y a six unités en France, regroupant endocrinologues, psychologues et chirurgiens, et sont parfois décriées par la communauté trans [voir les commentaires]. Ces unités ont été mises en place pour les personnes souhaitant entamer un « parcours de transition », remboursé par la Sécurité Sociale. Le docteur Cordier précise que la transidentité est un « mystère », il précise toutefois que ce n'est en aucun cas un « trouble psychiatrique ».
Condamnée en 1992 par la CEDH (Cour Européenne des Droits de l'Homme), la France est depuis sommée d'examiner les procédures de changement de sexe. Pourtant, dans la législation française, cela demeure un véritable parcours du combattant : il faut passer devant un juge, apporter des preuves, une attestation psychiatrique, montrer que son changement de sexe est irréversible, ce qui, selon certaines associations, est considéré comme une obligation de stérilisation. De plus, certains tribunaux demandent des examens complémentaires humiliants comme par exemple des rapports médicaux sur la profondeur, ou la longueur des organes génitaux après opération...
Michèle a subi une opération de réassignation, « moins douloureuse qu'une rage de dents ». Pourtant, la procédure de changement de genre sur sa carte d'identité a pris deux ans supplémentaires. Du début des symptômes jusqu'à l'obtention des papiers d'identité, sa transition a duré neuf ans. « Neuf ans où tout autour s'écroule. [...] C'est sûr que cela ne peut pas se faire en huit jours, mais neuf ans, c'est beaucoup trop long. »
Timéo, qui a procédé à un réassignement inverse, a rusé : il a choisi le tribunal devant lequel il devait se présenter, afin d'obtenir une chance plus favorable dans la décision. Ses démarches n'ont duré qu'un an, même si cela lui a coûté, comme à beaucoup, quelques milliers d'euros en frais d'avocat pour la procédure. Comme Michèle, il a dû produire devant le juge un ensemble de preuves, des attestations d'endocrinologues, de médecins, de psychiatres, des comptes-rendus d'opération. Sa voix est teintée de colère : « En vertu de quoi une personne qui ne m'a jamais rencontré puisse me voir pendant une dizaine de minutes et estimer que j'ai le droit d'être l'homme que je revendique être ? Cette personne prend une décision qui impacte toute votre vie. »
La CNCDH (Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme) a rendu un rapport en 2013 sur le changement d'État Civil des personnes transidentitaires. Cet avis présente l'insécurité juridique de ces personnes : comme il n'y a pas de loi, on s'appuie sur la jurisprudence, et tous les tribunaux ne rendent pas le même jugement. La CNCDH préconise le vote d'une loi, qui démédicaliserait la procédure, afin qu'il n'y ait plus d'expertises intrusives et humiliantes pour la personne. Le deuxième pan de la loi devrait déjudiciariser partiellement la procédure : une personne désirant changer de genre passerait d'abord devant un officier d'État Civil afin d'effectuer une déclaration, qui devra simplement être homologuée par un juge.
Philippe Régnier, professeur de Droit et spécialiste des questions de genre, dénonce le « besoin de critères » des parlementaires, quand il s'agit de voter les lois. En l'absence de critères médicaux ou juridiques, ces derniers s'attardent sur les critères sociaux, « le comportement social » de la personne.
« Qu'est-ce que c'est, aujourd'hui, le comportement social d'une femme ? Celui d'un homme ? Ces critères qui ne sont pas légalement précisés sont inapplicables. [...] Les parlementaires ne veulent pas abandonner la logique des critères, parce que c'est une logique de contrôle. [...] Dans une société qui cherche à lutter contre les stérotypes de genre, c'est comme la main droite qui ignore ce que fait la main gauche. »
Erwann Binet, député socialiste de l'Isère et déjà rapporteur, en 2013, du projet de loi pour le mariage pour tous, a récemment déposé avec Pascale Crozon une proposition de loi pour encadrer le changement d'État Civil pour les personnes transgenres. « Il n'y a pas une ligne de texte dans le Code Civil qui actuellement concerne le changement de sexe, d'État Civil. [...] Aujourd'hui et depuis 1992, les juges sont en face d'eux-mêmes, créant le droit. [...] Le législateur doit prendre ses responsabilités. »
Ce projet de loi, qui même s'il va dans le bon sens, n'est pas parfait. Il donnerait la possibilité à une personne désirant une réassignation sexuelle de prouver, devant le Procureur de la République, qu'elle est « socialement » désormais dans un autre genre, à travers son propre témoignage et ceux de ses proches. Ce serait ainsi la société, et non plus le tribunal qui regarderait cette personne, en démédicalisant et déjudiciarisant de manière effective la procédure. Le Procureur aurait ensuite à statuer, dans un délai de trois mois suivant l'audition, si la personne peut être réassignée.
Les associations transidentitaires ont déjà critiqué ce projet de loi, jugeant qu'elle « ne va pas assez loin ». Erwann Binet répond qu'il « aimerait que nous puissions aboutir un jour à un simple changement d'État Civil par déclaration. [...] Ce n'est hélas pas applicable dans notre situation juridique. »
Il poursuit : « Ma pensée personnelle, c'est que je ne comprends même pas pourquoi la mention du sexe figure à l'État Civil. Il ne devrait pas y figurer et il n'est pas – ou très peu – impliqué dans la législation. [...] Notre objectif, c'est de faire une loi qui peut aboutir. »
Merci à Laera, pour avoir proposé ce documentaire à l'écoute !
Illustration : Image du film Tomboy, de Céline Sciamma (2011).
Crédits de l'émission :
France Inter - Reportage de Sandrine Etoa-Andegue. Prise de son : Philippe Etienne. Mixage : Delphine Baudet. / Réalisation d’Anne Lhioreau, assistée de Stéphane Cosme et de Zohra Bensmaïli. / Invité : Erwann Binet, député socialiste de l’Isère, auteur avec Pascale Crozon, députée socialiste du Rhône, d’une proposition de loi sur le changement d’identité pour les personnes transidentitaires.